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19 octobre 2004

L’intégration en emploi des jeunes issus de minorités visibles

Rédaction
Thomas Collombat

1. Mise en contexte

Le CAJ a fait le constat que les recherches menées jusqu’à présent sur la question permettaient d’avoir un bon tableau de la situation mais n’offraient que trop peu d’éléments quant aux pistes de solution proposées par le milieu communautaire en matière d’intégration des jeunes de minorités visibles au marché du travail.

La démarche choisie par le CAJ est donc la suivante. Après avoir fait un rappel des principales études existantes et de leurs conclusions quant à la situation des jeunes de minorités visibles, plusieurs groupes de discussion rassemblant des intervenants du milieu communautaire permettront de lister les principales recommandations avancées par ces groupes. La méthodologie des groupes de discussion sera abordée plus en détails par la suite.

2. Situation actuelle de l’intégration en emploi des jeunes de minorités visibles

Il convient dans un premier temps de rappeler sur quelle définition de « minorité visible » se base cet avis, comme la plupart des recherches menées sur le sujet. Nous empruntons cette définition à la Loi sur l’équité en matière d’emploi qui définit comme minorités visibles « les personnes, autres que les Autochtones, qui ne sont pas de race blanche ou qui n’ont pas la peau blanche » [1]. En outre, les statistiques utilisées nous amènent à adopter la tranche d’âges 15-29 ans comme caractéristique de la catégorie « jeunes ».

Plus précisément, les catégories visées par les études portant sur les minorités visibles sont les suivantes : Chinois, Sud-Asiatiques, Noirs, Arabes, Asiatiques occidentaux, Philippins, Asiatiques du sud-est, Latino-américains, Japonais, Coréens, autres (dont les populations issues des îles du Pacifique). Dès le départ, il est essentiel de noter que les 92% de cette population habitent dans la grande région de Montréal [2]. Cette information est essentielle pour la méthodologie que nous allons adopter.

De façon générale, on note également que la croissance démographique des
minorités visibles est plus rapide que celle de la population dans son ensemble. Ainsi le nombre de personnes issues de minorités visibles a augmenté quatre fois plus vite que la population en général entre 1991 et 1996 (+13,6 % contre +
3,4%) [3]. Le même constat s’impose quant à la part des jeunes de moins de 15 ans, supérieure au sein des minorités visibles (24 % en 1996) qu’au sein de la population en général (20,45 % à la même date) [4]. Entre 1996 et 2001, le nombre de jeunes de la population en générale a diminué de 4 % alors que le nombre de jeunes issus de minorités visibles a augmenté de 1,2 %. Ce simple constat renforce la pertinence du présent avis qui, au-delà du CAJ, devrait préoccuper l’ensemble des acteurs de l’insertion professionnelle des populations immigrantes.

2.1 Un accès plus difficile au marché du travail

Sur le plan de l’emploi, le taux d’emploi des personnes issues de minorités visibles est inférieur à celui de la population dans son ensemble (65 % contre 75 % [5]). Logiquement, le taux de chômage connaît un rapport inverse : alors qu’il se situe à 10 % chez les minorités visibles, il est de 5 % pour la population en général. Il est par ailleurs primordial de noter que c’est au Québec où l’écart entre les minorités visibles et la population dans son ensemble est le plus fort, malgré une baisse observée dans les dernières années (10,6 points d’écart en 1996 contre 7,2 points d’écart en 2001). Ces éléments nous permettent donc de poser un premier constat : les minorités visibles éprouvent plus de difficultés à intégrer le marché du travail que la population dans son ensemble. Il s’agit là d’un problème quantitatif, soit un déséquilibre entre l’offre de travail des minorités visibles et l’offre d’emplois qui leur est faite.

Par ailleurs, les études amènent à un deuxième constat, celui-ci d’ordre plus qualitatif. En effet, quand ils réussissent à obtenir un emploi, les jeunes de minorités visibles semblent confinés dans des secteurs où l’emploi est précaire. Bien souvent, ils accusent des situations d’emplois sous-qualifiés [6]. De même, l’incidence de pauvreté est plus élevé chez les minorités visibles que dans le reste de la population, ce qui tendrait également à démontrer qu’elles occupent des emplois moins bien rémunérés. Ainsi, en 1999, 54,1 % des jeunes issus de minorités visibles vivaient dans un quartier où l’incidence de pauvreté était très élevé contre 26,3 % pour les jeunes en général [7]. Ce deuxième constat, bien que répondant souvent aux mêmes causes, se doit d’être distingué du premier.

2.2 Les principaux facteurs mis de l’avant

Les différents facteurs tendant à expliquer ces difficultés sont généralement les suivants.

L’éducation

Bien qu’elles soient plus scolarisées que la population en général [8], certaines minorités visibles, telles les communautés chinoise ou haïtienne, connaissent également de forts taux de faible scolarisation [9]. En outre, les groupes d’origine haïtienne et latino-américaine se distinguent par un taux de décrochage scolaire supérieur à la moyenne. Enfin, les jeunes diplômés issus de minorités visibles bénéficient moins que les autres diplômés de leur formation. Ils connaissent des taux de chômage et de sous-qualification plus élevés, ainsi qu’une situation d’inéquité salariale par rapport aux autres diplômés. Par exemple, une étude a montré que les jeunes noirs de la région de Montréal titulaires d’un diplôme universitaire subissent un taux de chômage trois fois plus élevé que les diplômés en général [10].

Le statut d’immigrant

Le fait d’être immigrant influe à plus d’un titre sur le parcours professionnel des jeunes de minorités visibles. Outre les difficultés d’intégration à la culture québécoise, ceux-ci souffrent également d’un certain « inconfort » administratif quand ils sont en attente d’un statut légal définitif. Le fait, par exemple, de ne pas avoir encore obtenue la résidence permanente (statut pouvant être identifié par une simple consultation du numéro d’assurance sociale) constitue déjà en soi un obstacle à l’embauche.

En outre, il a été démontré que les jeunes de minorités visibles nés au Canada s’en sortaient mieux que ceux nés à l’extérieur [11] car ils n’étaient confrontés ni au problème de la reconnaissance des diplômes étrangers, ni à celui de la constitution d’un réseau de contacts professionnels. Ce dernier point est essentiel considérant l’importance des contacts personnels pour l’obtention d’un emploi sur le marché du travail actuel. Les seuls réseaux dont jouissent souvent les nouveaux arrivants sont ceux de leur propre communauté culturelle, qui n’est pas nécessairement susceptible de leur fournir un emploi.

Âge et sexe

Comme le reste de la population, les personnes issues de minorités visibles sont doublement confrontées à des obstacles sur le marché du travail quand elles sont en plus des femmes ou des jeunes. Cette situation de double discrimination rend d’autant plus pertinente la tenue d’études comme celle-ci.

Ainsi, selon les chiffres du recensement de 1996, les femmes issues de minorités visibles connaissaient un taux d’emploi de 51,2 % contre 54,6 % pour les femmes en général. En outre, elles étaient plus présentes que les autres dans les secteurs à forte proportion d’emplois précaires comme les services et l’industrie manufacturière (61,4 % des femmes immigrantes travaillaient dans ces secteurs contre 56,5 % des femmes en général) [12].

Quant aux jeunes, ils souffrent du fait de ne pas avoir d’expérience et sont ainsi confinés dans des emplois précaires ou à faible responsabilité. [13]

Discrimination

Par définition, le fait d’être issu d’une minorité visible est immédiatement identifiable lors d’une entrevue. Il peut également arriver que les candidats issus de minorités visibles soient discriminés dès la première phase du recrutement, sur la base d’un nom à consonance étrangère par exemple [14].

La discrimination peut être subie soit a priori (le candidat n’est pas appelé en entrevue), soit a posteriori (le candidat n’est pas retenu suite à l’entrevue). Les études tendent par ailleurs à montrer que ce phénomène s’est renforcé depuis les attentats du 11 septembre 2001.

Cette discrimination entraîne un découragement chez bien des jeunes qui sont ainsi amenés à un processus d’ « auto-exclusion ». Ils ne croient plus à leurs chances et voient le marché du travail comme un espace dont ils sont systématiquement exclus. Ce sentiment joue sur la conscience citoyenne dans son ensemble et nuit considérablement à l’intégration tant économique que politique ou sociale des nouveaux arrivants et de leurs descendants.

La langue

La question de la barrière linguistique au Québec est souvent abordée vis-à-vis des anglophones. Mais pour bien des minorités visibles, c’est plutôt la maîtrise de la langue anglaise qui pose problème. En effet, rappelons que l’immense majorité d’entre eux habite la grande région de Montréal où des études récentes ont encore montré que la maîtrise de l’anglais est de plus en plus nécessaire pour occuper un emploi. Les personnes dont la langue maternelle est le français (immigrants haïtiens ou en provenance d’Afrique francophone par exemple) se sentent donc désavantagés alors que le critère linguistique a souvent joué dans leur choix du Québec comme destination d’immigration. Cette situation de domination de l’anglais dans certaines professions au Québec a d’ailleurs été dénoncée par plusieurs organismes [15].

Le milieu familial

L’incidence de pauvreté étant plus élevé dans les populations issues de minorités visibles, on peut supposer que le capital financier et social des jeunes de ces milieux sera beaucoup moins favorable à leur bonne intégration au marché du travail. Cet élément est sans nul doute lié au problème de l’éducation et invite les observateurs à arrimer les problèmes de ces communautés aux problématiques plus larges liées aux politiques sociales.

2.3 Les solutions avancées

Une revue des principales études menées sur le sujet amène à souligner deux grandes catégories de propositions visant à favoriser l’intégration des jeunes de minorités visibles sur le marché du travail. On trouve d’une part des suggestions portant plus sur l’attitude générale de la société vis-à-vis de ces communautés ; d’autre part des suggestions s’attardant plus particulièrement aux programmes d’aide à l’emploi mis en place par les différents paliers de gouvernement.

L’étude menée en 2000 pour le compte de la Fondation canadienne des relations raciales [16], si elle se concentre essentiellement sur le constat, suggère tout de même quelques pistes d’ordre « macro » pour améliorer la situation des minorités visibles. Elle prône ainsi une campagne d’éducation publique contre les discriminations raciales sur la marché du travail, celles-ci étant devenues dans les dernières années plus « subtiles » ou « cachées ». De même, les auteurs poussent pour que les mesures d’équité en emploi adoptées par les gouvernements ne se contentent plus de toucher à l’accès mais aussi au maintien (rétention) des minorités visibles sur le marché du travail.

De façon plus précise, c’est surtout des acteurs du milieu communautaire que sont venues les recommandations les plus spécifiques. Ainsi, le Comité sectoriel d’adaptation de la main d’œuvre – Personnes immigrantes (CAMO-PI) a émis une série de recommandations en 1999 visant à favoriser l’intégration des jeunes des minorités visibles [17]. Après avoir constaté que ces populations nécessitaient une approche globale dans l’aide à l’insertion en emploi organisée par un ensemble cohérent d’acteurs impliquant tous les domaines concernés (économique, psychosocial, familial, éducative, judiciaire), le CAMO-PI plaide pour une approche plus qualitative de l’aide apportée à ces jeunes et propose une stratégie en deux volets. Le premier, centré sur l’individu, viserait à assurer un soutien à la scolarisation, tout particulièrement au sein des communautés les plus en difficulté, le développement d’habiletés psychosociales (notamment par un travail de groupe et le recours à des « parrains ») et le développement d’habiletés professionnelles afin d’aider le jeune à mieux connaître le marché du travail et mieux s’y adapter. Le second volet porterait plus sur les institutions et les entreprises avec lesquelles ces jeunes sont en contact et viserait tant le secteur public (écoles et agences gouvernementales) que le secteur privé (entreprises). À travers des partenariats avec les institutions scolaires et les ministères, les organismes communautaires seraient appelés à assister l’État dans sa compréhension des réalités des jeunes issus de minorités visibles. Les entreprises seraient quant à elles appelées à mieux connaître les jeunes et mieux se faire connaître auprès d’eux à travers diverses initiatives. Enfin le CAMO-PI préconise la création d’un Conseil pour l’aide à l’insertion socio-économique des jeunes des minorités visibles du Québec, structure souple dotée d’unités thématiques de consultation chargées d’appliquer chacune dans leur domaine le plan d’action adopté.

Les études menées jusqu’à présent se sont donc essentiellement concentrées sur le constat et les pistes proposées restent assez générale et ne proviennent que rarement du milieu des intervenants (à l’exception notable des travaux du CAMO-PI mais celui-ci ne prend en compte que les nouveaux arrivants, excluant par là même une large part des minorités visibles, soit celles nés au pays).

La pertinence de la présente recherche est donc confirmée afin de pouvoir cerner non seulement la façon dont les intervenants en emploi travaillant avec les jeunes issus de minorités visibles perçoivent la situation mais aussi quelles sont les recommandations qu’ils formuleraient pour améliorer la situation.

3. Résultats de la recherche

Suite à l’état de la question que nous venons d’aborder, une recherche a été menée auprès d’intervenants en emploi travaillant avec des jeunes issus de minorités visibles. Nous en exposons ici la méthodologie ainsi que les résultats.

3.1. Méthodologie

La méthode choisie par le CAJ est celle des groupes de discussion. Trois groupes de discussion se sont donc réunis les 18, 20 et 21 mai 2004, chacun d’eux pendant environ deux heures. Les groupes étaient respectivement composés de sept, sept et huit participants, soit 22 personnes au total, dont 10 femmes. Les discussions des trois groupes ont été intégralement enregistrées.

Tous les participants sont des intervenants en emploi agissant auprès de jeunes issus de minorités visibles. Ils proviennent tous de la région de Montréal, l’immense majorité de la population visée par cet avis résidant dans la métropole. Mais les contextes de leurs interventions sont variés. Plusieurs participants proviennent de Carrefours jeunesse-emploi (CJE) situés dans des quartiers multiethniques de Montréal (Montréal-Nord, Côte-des-Neiges) tandis que d’autres agissent au sein de groupes communautaires visant les nouveaux arrivants, présents là encore souvent dans des quartiers multiethniques (Bordeaux-Cartierville, Parc-Extension) ou à la grandeur de l’Île. D’autres enfin appartiennent à des groupes visant exclusivement certaines communautés (communauté noire, chinoise) et proposant des services dépassant l’aide à l’intégration en emploi. Quel que soit le mandat de leur organisation d’origine, tous les participants interviennent dans le domaine de l’employabilité et sont en contact régulier avec une clientèle jeune issue des minorités visibles.

Les résultats présentés ici sont donc une synthèse des propos tenus par les participants pendant ces trois groupes de discussion. Le déroulement des trois groupes de discussion s’est fait autour d’un questionnaire ouvert dont les trois principaux axes (constat, causes et solutions) ont été élaborés à partir de l’état de la question dressé plus tôt.

3.2. Résultats des groupes de discussion

3.2.1. Constat

Chaque groupe a commencé par une période au cours de laquelle les participants ont été invités à identifier les problèmes auxquels les jeunes issus de minorités visibles peuvent être confrontés dans leur intégration du marché du travail.
Les trois groupes ont identifié sensiblement les mêmes étapes au cours desquelles ces jeunes éprouvent des difficultés. Ainsi, dès l’étape de pré-employabilité, des problèmes se font ressentir. On constate une certaine démotivation, un défaitisme chez ces jeunes, ainsi qu’une inadaptation de leur formation à leurs aspirations. Au moment de la « mise en action », soit de la rédaction du CV et de la recherche d’emploi, des problèmes se font aussi ressentir tant sur le plan de la motivation que sur celui des habiletés de rédaction et du confort avec le fonctionnement du marché du travail québécois.

L’étape des entrevues et des retours d’appel peut également être difficile pour certains jeunes qui ne comprennent pas toujours les raisons de refus ou l’absence de retour d’appels.

Enfin, la rétention en emploi et la progression au sein des organismes employant ces jeunes n’est pas toujours évidente.

Ce bref tour d’horizon amène à une première conclusion qui semble confirmer les constats observés dans la revue de la littérature : les jeunes issus des minorités visibles éprouvent plus de difficultés que les autres à intégrer le marché du travail, et ce à toutes les étapes du processus. Toutefois, d’importantes nuances sont à effectuer selon, notamment, le profil de chaque individu, de sa communauté d’origine et du secteur qu’il cherche à intégrer. Ces nuances vont pouvoir être faites dans la partie suivante, durant laquelle les participants ont été invités à identifier les causes des difficultés éprouvées par les jeunes issus des minorités visibles dans leur intégration en emploi.

3.2.2. Causes des difficultés

L’identification des facteurs entrainant les difficultés subies par les jeunes issus de minorités visibles dans leur intégration en emploi a amené les participants à évoquer un nombre assez important d’éléments. Nous optons ici pour une organisation de ces facteurs en deux catégories, soit les facteurs endogènes (propres aux jeunes ou à leur entourage immédiat : famille, amis, voisins, quartier) et les facteurs exogènes (touchant à la société dans son ensemble ou à certaines de ses composantes interagissant avec les jeunes issus de minorités visibles, tels les employeurs). Comme toute typologie, cette classification est discutable et nous constaterons que pour certains éléments, le choix est délicat. Mais elle permet tout de même de mettre en ordre un certain nombre de constats et de pouvoir ainsi aller de manière plus opérationnelle vers les recommandations qui seront finalement formulées par les participants.

Facteurs endogènes

Les participants étant des intervenants, leur expérience se base essentiellement sur des cas individuels. On a donc pu observer chez nombre d’entre eux une tendance à accentuer fortement les dimensions individuelles, c’est-à-dire se rapportant directement au jeune ou à son entourage proche. Il est cependant intéressant de noter que d’autres participants, souvent mais pas exclusivement issus de groupes communautaires noirs, ont une approche plus politique des choses et mettent davantage l’accent sur les dimensions sociales.

Bien que touchant l’individu, les facteurs endogènes que nous allons évoquer sont fortement liés aux contextes socio-économiques dans lesquels évoluent les jeunes.

Le niveau de vie

Un des tous premiers critères évoqués dans les groupes est l’inadéquation entre la formation des jeunes et leurs aspirations. Cette préoccupation rejoint bien souvent le problème du décrochage scolaire, particulièrement criant dans certaines communautés. Toutefois, plusieurs participants insistent sur le fait qu’il ne s’agit pas nécessairement d’une spécificité des minorités visibles mais plutôt d’un constat observé dans l’ensemble de la jeunesse québécoise. Le facteur essentiel serait en fait le niveau de vie de la famille. En effet, plus une famille est pauvre, plus elle va inciter ses enfants à quitter rapidement l’école pour pouvoir travailler à temps plein et ainsi ramener un revenu supplémentaire au foyer. Le fait que le niveau de vie moyen des familles de minorités visibles soit inférieur à celui de la population en général les amène donc à être plus touchées par le décrochage scolaire.

La culture

Plusieurs intervenants, en particulier agissant auprès des communautés sud- asiatiques, mentionnent au contraire que certaines cultures peuvent être réticentes au fait de voir partir leur enfant sur le marché du travail. L’autorité familiale est ainsi remise en cause quand un jeune décide, à l’instar du « modèle nord-américain », de quitter sa famille relativement jeune pour aller travailler. Celle-ci ne lui procurera alors que très peu de soutien dans sa démarche et il se retrouvera défavorisé par rapport aux autres, issus de milieux plus susceptibles de leur porter assistance dans leur premier contact avec le monde du travail.

Les femmes semblent plus particulièrement touchées par ce phénomène, là encore évoqué par une intervenante auprès des communautés sud-asiatiques. Ainsi, le père ou le conjoint, dans certaines cultures, verra d’un mauvais œil que sa fille ou son épouse décide de se trouver un emploi plutôt que de rester au foyer. Si elle décide malgré tout de continuer sa démarche, cette jeune femme ne bénéficiera pas du même soutien de son entourage qu’une jeune femme issue d’une communauté acceptant mieux son choix.

L’intériorisation des discriminations

L’immense majorité des participants s’accorde pour dire que l’un des facteurs les plus décisifs des difficultés rencontrées par les jeunes issus de minorités visibles dans leur intégration en emploi est une intériorisation des discriminations vécues par d’autres personnes dans leur famille ou dans leur entourage proche. Cet élément semble expliquer bien des obstacles rencontrés aux diverses étapes du processus de recherche d’emploi. Ainsi, au dire d’un participant, bien des jeunes « partent perdants » en se disant qu’il auront très probablement à subir des discriminations sur le marché du travail que de jeunes blancs ne subiront pas. Ainsi, il leur faudra être meilleurs que les autres s’ils veulent parvenir au même point. Un participant résume cette situation en affirmant qu’« ils ont le sentiment qu’ils entrent dans l’ascenseur au 1er ou au 2e sous-sol, en espérant que l’ascenseur marche ». Un autre participant avance que ces jeunes « semblent être porteurs d’une espèce de syndrôme de l’échec » véhiculé dans leur communauté, en raison des discriminations vécues par certains d’entre eux.

De plus, la génération précédente, celle dont sont issus la plupart des recruteurs, est perçue comme étant beaucoup plus marquée par les préjugés que celle des jeunes. Le fait de cotoyer des jeunes de la culture majoritaire qui ne seraient pas racistes ne résoud ainsi pas tout. Un participant a ainsi évoqué le cas de sa propre fille qui, malgré le fait que son père travaille avec des personnes issues de minorités visibles, doutait de sa réelle ouverture d’esprit. La génération des 40-50 ans serait ainsi perçue comme fortement marquée par les préjugés et donc susceptible de poser problème aux jeunes issus de minorités visibles dans leur intégration en emploi.

Cette situation nuit, non seulement aux jeunes à l’étape de pré-employabilité, mais également lors de la mise en action durant laquelle ils vont avoir tendance à être plus affectés que les autres par le moindre échec. Une participante insiste sur les conséquences importantes que cela entraîne sur l’estime de soi, nuisant ainsi à la persévérance des jeunes dans leur démarche.

Enfin, plusieurs participants mettent en garde contre la ghettoïsation croissante de certains quartiers multiethniques de Montréal qui ne fait que renforcer cet état de fait. Un participant parle ainsi d’« effet de serre » dans ces quartiers où le moindre échec individuel est démultiplié et où les exemples positifs ne sont pas assez nombreux ou publicisés. Le fait que certaines écoles soient composées dans de très fortes proportions de jeunes issus de l’immigration ne contribue pas à ce que ces jeunes rencontrent d’autres personnes issues de la culture majoritaire. Ces contacts ne s’effectuent bien souvent qu’au collégial, étape où les groupes d’affinités sont bien souvent déjà formés. Un consensus semble se dégager au sein des trois groupes quant au fait que ce phénomène de ghettoïsation est en croissance dans la métropole et nuit à la bonne intégration de ces jeunes.

Il est également important de mentionner que des participants au sein d’un groupe ont évoqué le fait que l’Ontario et plus particulièrement sa métropole, Toronto, sont perçues par les jeunes issus de minorités visibles comme bien plus ouvertes : « Va à Toronto, tu seras mieux perçu », serait un mot d’ordre répandu dans la communauté noire, aux dires d’un participant qui se dit lui même marqué de la visibilité beaucoup plus importante des jeunes noirs dans les emplois en contact avec la clientèle lorsqu’il se rend en Ontario.

L’absence de réseaux

Problème touchant l’ensemble des jeunes, le réseautage semble poser encore plus de difficultés à ceux issus des minorités visibles. Non seulement subissent-ils le fait, au même titre que les autres, que le réseautage ne soit pas enseigné à l’école, mais ils éprouvent d’autant plus de difficultés à se construire un réseau en intégrant le monde du travail que leur environnement ne les y aide pas. Ainsi, les participants rappellent que dans bien des cas les premiers réseaux professionnels sont fondés sur ceux de la famille ou des amis proches. Or, les jeunes issus de minorités visibles évoluant dans des contextes socio-économiques eux-mêmes défavorisés, ils partent avec un handicap considérable en termes de « capital social ».

Un participant décrit les réseaux comme autant de silos juxtaposés et donc relativement hermétiques. Les jeunes en général peinent à intégrer les entreprises où, par exemple, les ouvertures de postes se font prioritairement à l’interne. Mais comme le précise un participant, les jeunes issus de minorités visibles ne sont « pas seulement en dehors de l’entreprise, ils sont en dehors du réseau » qui permet à un jeune de la culture majoritaire d’être mieux informé sur les différentes opportunités qui s’offrent à lui et de pouvoir bénéficier de contacts préalablement établis par son entourage. Même la pratique des stages ne règle pas tout, une participante constatant que les jeunes issus de minorités visibles ont beaucoup plus de mal à se trouver un emploi après un stage que les autres jeunes, en grande partie en raison, d’après elle, du manque de réseaux.

Les réseaux communautaires, perçus comme des réactions à l’exclusion des immigrants des réseaux de la culture majoritaire, sont évoqués par plusieurs groupes. Fortement développés chez des communautés d’immigration relativement ancienne (italiens, grecs, juifs), ces réseaux ne sont, aux dires des participants d’un groupe, qu’encore assez peu développés chez les minorités visibles, d’immigration plus récente. Une participante mentionne ainsi qu’il fut plus difficile pour elle de placer un jeune issu d’une minorité visible dans un commerce d’un quartier multiethnique que dans celui d’un quartier majoritairement blanc. Une autre participante mentionne que son quartier, à forte proportion de minorités visibles, n’a vu que récemment apparaître des vendeurs issus de ces communautés dans les commerces. Mais les participants s’entendent pour dire que la situation évolue et que des réseaux commencent à se constituer. On peut sans doute rapprocher ce constat de celui de ghettoïsation fait plus tôt, et les participants perçoivent d’ailleurs le même risque d’auto-exclusion dans ce phénomène, sans pour autant condamner cette pratique qu’ils considèrent comme légitime de la part de populations se sentant exclues du marché du travail.

Méconnaissance du marché du travail québécois et de ses règles

Phénomène plus spécifique aux nouveaux arrivants, la méconnaissance du marché du travail québécois et de ses modes de fonctionnement est un facteur fréquemment abordé par les participants, notamment ceux travaillant exclusivement avec une clientèle néo-québécoise. Ce critère affecte non seulement les aspects « techniques » de la recherche d’emploi tels la rédaction du CV ou la tenue de l’entrevue, mais également l’approche globale du marché du travail. Ainsi, des participants mentionnent que pour bien des immigrants d’origine africaine (maghrébine ou sub-saharienne) le fait d’avoir à se « vendre » auprès d’un employeur est perçu de façon négative. L’importance accordée aux diplômes dans les cultures d’origine et parfois même, dans le cas notamment d’immigrants en provenance du Maghreb, le rôle central joué par l’État dans la recherche et l’attribution d’emplois, nuisent à une bonne compréhension et à une adaptation de ces clientèles au marché du travail québécois.

Bien que ce facteur touche prioritairement les nouveaux arrivants, il faut être conscient que son impact dépasse cette seule clientèle dans la mesure où, comme nous l’avons constaté précédemment, les échecs ou inadaptations de tout membre d’une minorité visible peuvent se répercuter sur les autres en contribuant au sentiment d’exclusion et à l’intériorisation des discriminations, notamment chez les jeunes de ces communautés, qu’il s’agisse de nouveaux arrivants ou de jeunes nés au Québec.

Consumérisme et manque d’expérience

Au-delà des critères les touchant comme minorités visibles, les jeunes issus de minorités visibles rencontrent également des obstacles communs à toutes les personnes de leur tranche d’âge.

Ainsi, plusieurs participants constatent une tendance à vouloir entrer sur le marché du travail à n’importe quel prix, accepter n’importe quel emploi pour pouvoir satisfaire à des besoins de consommation immédiat. Dans le même temps, un intervenant parle de « pensée magique » chez bien des jeunes qui s’imaginent pouvoir accéder à des postes bien payés dès leur premier emploi, sans bénéficier d’expérience. Un participant considère toutefois que cette attitude est plutôt caractéristique des jeunes nés au Québec tandis qu’il constate une plus grande « éthique de travail » chez les nouveaux arrivants.

Le problème du manque d’expérience est incontestablement un facteur décisif qu’un groupe place même en tête de liste des problèmes que pourra rencontrer un jeune issu de minorité visible dans sa recherche d’emploi. Toutefois, comme nous l’avons vu précédemment, la difficulté de ces jeunes à intégrer les réseaux professionnels permettant de se bâtir cette expérience leur rend la tâche bien plus ardue qu’à ceux issus de la culture majoritaire.

Le tour d’horizon des facteurs endogènes que nous venons de mener nous permet d’ores-et-déjà d’identifier quelques tendances. L’importance cruciale de l’environnement socio-familial des jeunes issus de minorités visibles est fortement soulignée. Ces jeunes semblent défavorisés par rapport à ceux issus de la culture majoritaire tant sur le plan du capital économique que sur celui du capital social et culturel. Ces trois facteurs nuisent à des degrés divers à leur bonne intégration au marché du travail : ils contribuent à l’échec scolaire, ne permettent pas une bonne compréhension du marché du travail et n’aident pas à son intégration. En outre, ces constats nous encouragent à ne pas séparer les problématiques touchant les nouveaux arrivants de celles concernant les jeunes nés au Québec. En effet, nous avons pu observer combien les situations de ces deux groupes sont inter-reliées et surtout agissent l’une sur l’autre. Le fait que les nouveaux arrivants éprouvent des difficultés à intégrer le marché du travail pour des raisons qui leur sont propres contribuent au sentiment d’exclusion chez les jeunes nés ici. Ce constat va d’ailleurs se répéter en analysant les facteurs exogènes des difficultés d’intégration en emploi des jeunes issus de minorités visibles.

Facteurs exogènes

Bien que travaillant essentiellement sur des cas individuels, les participants sont souvent amenés à faire des constats plus larges concernant les jeunes issus de minorités visibles et en particulier à identifier des facteurs exogènes c’est-à-dire sur lesquels ces jeunes n’ont qu’une faible emprise.

Langue

Le problème de la maîtrise de la langue est très fréquemment soulevé par les participants, et couvre deux réalités : la non maîtrise du français d’une part, et la non maîtrise de l’anglais d’autre part.

Les immigrants en provenance de pays anglophones ou allophones sont ceux qui éprouvent le plus de difficultés avec la langue française. À aucun moment cependant les participants n’ont remis en cause la nécessité pour ces clientèles de devoir apprendre le français, certains d’entre eux, eux-mêmes issus de l’immigration, défendant même vigoureusement la défense de cette langue et l’obligation faite aux immigrants de l’assimiler. Toutefois, c’est sur le plan des moyens accordés à la francisation que les critiques furent les plus sévères. Il est utile de noter à cette étape qu’un des groupes de discussion a eu lieu avant l’annonce faite par le gouvernement de réinstaurer les subventions individuelles de francisation aux immigrants. Malgré cette annonce, les participants s’entendent pour dénoncer le manque de moyens accordés, citant à l’appui les listes d’attente aux centres de francisation.

La communauté noire anglophone et les immigrants asiatiques semblent particulièrement touchés par ce problème. Parlant de la première, un participant note une grande réticence chez certains membres de cette communauté à apprendre le français : « Je préfère rester dans la misère plutôt que d’apprendre le français ». Là encore, la tentation est grande de se rendre en Ontario, où le problème ne se pose pas. Concernant la communauté asiatique, les participants en contact avec elle ne notent pas particulièrement de réticence mais soulignent le retard entraîné par cette étape et les difficultés rencontrées pour subvenir aux besoins d’une famille pendant que les cours sont suivis.

Le problème de la langue anglaise a également été soulevé à plusieurs reprises. Non seulement le nombre d’emplois exigeant le bilinguisme est croissant dans la métropole mais certains secteurs sont tout particulièrement touchés. Les nouvelles technologies et le service à la clientèle en font partie, or ce sont des catégories d’emplois très attrayantes pour les jeunes issus de minorités visibles. On assiste alors à une certaine déception de la part des nouveaux arrivants dont plusieurs avaient fait le choix du Québec en raison de son identité francophone et se retrouvent à devoir maîtriser une langue qui n’est pas la leur pour pouvoir occuper l’emploi qu’ils désirent. Une participante mentionne même le cas d’immigrants nord-africains qui ont une bonne connaissance scolaire de l’anglais mais qui, par fierté, ne le mentionnent même pas sur leur CV, estimant que leur niveau n’est pas assez élevé.

Non reconnaissance des diplômes et de l’expérience étrangère

Un des problèmes les plus fréquemment soulevés par les participants travaillant avec de nouveaux arrivants est celui de la reconnaissance des formations étrangères. Malgré des progrès effectués dans les grilles d’équivalence, il est encore très difficile pour nombre de nouveaux arrivants de faire reconnaître leurs diplômes. En découle une déception quant aux attentes que ceux-ci s’étaient fait sur les emplois qu’ils pourraient occuper dans leur pays d’accueil et donc une frustration. Bien souvent, le parcours est à refaire alors que le diplôme vient d’être acquis, en particulier chez les jeunes immigrants. Les professions à usage exclusif sont tout particulièrement visées par les participants. Le Collège des médecins, l’Ordre des ingénieurs, divers ordres des domaines du droit et de la santé (exception faite de l’Ordre des infirmières dont les efforts d’ouverture ont été salués par une participante) sont critiqués par les participants comme posant trop d’obstacles à l’intégration des nouveaux arrivants. Il en va d’ailleurs de même pour les syndicats du secteur de la construction dont un participant a dit qu’ils posaient également problème pour les nouveaux arrivants en général et pour les minorités visibles en particulier.

« L’expérience canadienne » est aussi une corde manquant bien souvent à l’arc des nouveaux arrivants. Ceux-ci sont alors tentés d’aller vers le bénévolat, plus valorisé en Amérique du nord que dans leur pays d’origine, mais les participants mettent en garde contre cette pratique qui revient souvent à effectuer le travail d’un salarié sans bénéficier de sa rémunération. Une nuance est toutefois apportée en prenant en compte la situation économique du pays : les participants constatent que l’expérience canadienne perd de son importance quand les candidats se font rares. Elle semble être un atout moins indispensable en période de prospérité économique où les postes à combler sont plus nombreux.

La discrimination

Si les deux derniers facteurs évoqués peuvent toucher l’ensemble des populations immigrantes et des communautés culturelles, la discrimination à l’embauche de la part des employeurs semble quant à elle être un phénomène plus propre aux minorités visibles. Ce critère est avancé par plusieurs groupes comme étant le facteur déterminant des obstacles posés aux jeunes issus de minorités visibles à l’intégration en emploi. Toutefois, plusieurs participants nuancent cette affirmation en précisant qu’il est souvent difficile de distinguer une « authentique » discrimination d’une discrimination intériorisée par le jeune. En effet, s’il est un facteur difficilement quantifiable et même identifiable, c’est bien la discrimination à l’embauche. Ce fait se manifeste la plupart du temps de façon implicite. Ainsi, un jeune n’aura pas de retour d’appel après un entretien où il semblait avoir plutôt bien performé et pour un poste pour lequel son profil semble adéquat. Des doutes s’installent alors, aux dires des participants, qui indiquent toutefois que la preuve formelle de discrimination est toujours très délicate à trouver et par conséquent les recours légaux difficiles à engager. Il en va de même pour ces « petits jobs » auxquels les jeunes postulent par téléphone. Un participant donne l’exemple où, suite à l’entretien téléphonique, l’employeur est prêt à embaucher le jeune qui, tout en étant issu d’une minorité visible, parle avec l’accent québécois. Lorsque le candidat se rend sur les lieux pour finaliser le contrat, il apprend soudainement que le poste a été comblé.

Outre l’accent, le nom suffit parfois à discriminer un candidat. Les participants d’un groupe ont ainsi évoqué le cas d’un jeune issu de l’immigration, relaté dans la presse, qui a envoyé plusieurs fois un CV identique (le sien) pour répondre à une offre tout en changeant le nom à chaque fois. Il recevait une réponse quand il donnait un nom à consonance québécoise mais pas quand il donnait son vrai nom. Un participant mentionne aussi le cas d’un néo-Québécois d’origine maghrébine qui ne voulait pas que son conseiller en emploi indique qu’il parlait arabe, de peur d’être discriminé.

Toutefois les manifestations explicites de discrimination existent encore, même si aucune trace formelle n’est laissée. Ainsi, plusieurs participants évoquent des contacts avec des employeurs potentiels précisant par téléphone qu’ils ne voulaient pas de personnes noires ou arabes. Une participante ayant travaillé auparavant dans un cabinet de recrutement affirme que la pratique existe également dans ce milieu.

Invités à identifier les causes de ces discriminations, les participants évoquent prioritairement les préjugés dont souffrent les minorités visibles au sein de la société québécoise. Ainsi, la moindre mauvaise expérience vécue par un employeur avec un travailleur issu d’une minorité visible va être facilement généralisée à l’ensemble de sa communauté. La peur de voir l’entreprise « déstabilisée » par l’arrivée d’une personne non issue de la culture majoritaire serait également, d’après plusieurs participants, un facteur jouant contre l’embauche de minorités visibles.

De façon structurelle, de nombreux intervenants dénoncent l’absence de personnes issues des minorités visibles au sein des directions d’entreprises et par conséquent sur les comités de sélection. Un participant évoque l’industrie manufacturière en soulignant le fait que sur les lignes de montage, la plupart des employés sont immigrants tandis que les « boss » sont « québécois de souche ». Une image qui n’est pas sans rappeler une situation autrefois dénoncée par ces mêmes « Québécois de souche » quand seuls les francophones travaillaient sur le plancher et que presque tous les « boss » étaient anglophones.

Là encore, plusieurs participants invitent à la nuance en précisant que la situation économique générale joue également beaucoup sur ce genre de pratique. Quand il n’y a pas assez de travailleurs pour le nombre de postes offerts, les employeurs ont tendance à moins discriminer les personnes issues de minorités visibles.

Enfin, outre l’embauche, des problèmes semblent aussi se poser quant à la rétention en emploi et la progression au sein de l’entreprise. Quand ils décident de rester au sein de l’entreprise, ce qui n’est pas toujours le cas si l’employeur ne fait pas les efforts nécessaires pour son intégration, le jeune issu de minorité visible éprouvera souvent des difficultés à obtenir des promotions. Un participant parle de « glass-ceiling », d’un plafond indépassable au sein de l’entreprise dont se plaignent plusieurs de ses clients. Cette situation est à relier au problème de l’absence des minorités visibles au sein des postes de direction.

Secteurs les plus touchés

Les intervenants ont en outre été invités à identifier les secteurs du marché du travail où les jeunes issus de minorités visibles éprouvent le plus de difficultés à s’intégrer.

Le domaine des nouvelles technologies est évoqué, notamment pour les raisons déjà abordées touchant à la langue de travail.

Les relations publiques, et de façon plus large tous les emplois en contact direct avec la clientèle, incluant la vente, sont unanimement désignés comme un secteur très difficile d’accès pour ces jeunes. Les raisons évoquées par les participants sont que bien souvent, une entreprise ne veut pas que son image publique soit assimilée, par exemple, à un homme noir ou à une femme voilée. Les employeurs nieraient ainsi implicitement le caractère multiculturel de la société québécoise contemporaine. Les participants abordent même le cas d’une insitution financière importante située au coeur d’un quartier multiculturel et qui n’a commencé que très récemment à avoir des préposés au comptoir issus de minorités visibles sans en avoir encore au sein de sa direction.

Les professions à usage exclusif, comme évoquées précédemment, sont également perçues comme assez fermées, essentiellement en raison de la non reconnaissance des diplômes étrangers.

Mais s’il est un secteur unanimement perçu comme difficile d’accès aux minorités visibles et à leurs jeunes en particulier, ce sont bien les différentes fonctions publiques. Ainsi, au niveau provincial, la plupart des participants s’entendent pour constater l’échec des programmes d’accès à l’égalité (PAE). Une participante mentionne notamment les tests psycho-techniques de sélection qui ne correspondent absolument pas aux réalités vécues par les personnes issues de minorités visibles. Il est ainsi évident que, dans certaines mises en situation, ces personnes n’auront pas les mêmes « réflexes » que des personnes issues de la culture majoritaire et seront ainsi exclues. Les participants doutent de l’atteinte des objectifs d’embauche de personnes issues de minorités visibles dans la fonction publique québécoise. Un participant avance qu’une explication pourrait être que la plupart des programmes sont conçus à Québec, ville bien moins au fait de la réalité multiculturelle que Montréal.

Au niveau municipal, la situation n’est pas vraiment considérée comme meilleure. Un participant rappelle qu’il n’y a que très peu, voire pas, de contremaître de couleur à la Ville de Montréal et évoque le cas d’un d’entre eux qui a dû être déplacé car il n’était pas accepté par ses employés. Il en irait de même, d’après plusieurs participants, pour des secteurs comme la police ou les pompiers qui, malgré les efforts de certains de leurs responsables, restent des « zones blanches » aux dires d’une participante.

Un participant souligne qu’il est impératif que le gouvernement du Québec corrige la situation non seulement comme puissance publique devant « montrer l’exemple » mais aussi comme premier employeur de la province.

Quoi que beaucoup moins évoquée, la fonction publique fédérale est également considérée par plusieurs participants comme trop fermée aux minorités visibles.

Communautés les plus touchées

Interrogés sur les communautés considérées comme minorités visibles les plus touchées par les problèmes d’intégration en emploi, les participants évoquent prioritairement les communautés noires et arabes.

La communauté noire est présentée comme étant celle ayant toujours le plus souffert de discriminations, qu’il s’agisse de personnes en provenance des Caraïbes ou d’Afrique subsaharienne.

Quant aux Arabes, leur situation semble s’être détériorée depuis les événements du 11 septembre 2001 aux dires de plusieurs participants. L’une d’entre eux évoque la peur de certains employeurs d’« embaucher des terroristes » et donc l’exclusion systématique des candidats d’origine arabe.

Plusieurs participants évoquent une hiérarchie des communautés immigrantes dans les milieux de travail, où l’élévation professionnelle serait proportionnelle à la clarté de la peau. Ainsi, les noirs se situeraient presque systématiquement en bas de l’échelle, suivis des Arabes, des personnes du sous-continent indien et d’Asie du sud en général. Les personnes d’origine extrême-orientale et est-européenne seraient celles souffrant le moins de leur origine nationale. Une participante évoque même un employeur algérien qui insistait pour embaucher des candidats d’origine roumaine ou bulgare, mais pas d’origine algérienne. La concordance des systèmes d’éducation de plusieurs pays d’Europe de l’est avec le système nord-américain est présenté comme un facteur déterminant pour l’avancement des personnes issues de ces régions, par opposition aux autres. Il est également indispensable de rappeler que sur tous les groupes évoqués, les personnes d’Europe de l’est sont les seules à ne pas être considérées comme des minorités visibles.

Les facteurs exogènes sont donc également déterminants dans la situation des jeunes issus de minorités visibles. Outre les aspects « techniques » tels la langue ou la reconnaissance des diplômes, il semble qu’il y ait bel et bien discrimination implicite ou explicite de ces populations sur le marché du travail de la part d’employeurs encore fortement marqués par les préjugés. Au sein de ces employeurs, le premier d’entre eux, soit le gouvernement du Québec, est dénoncé comme étant l’un de ceux contribuant à cette exclusion.

3.2.3. Recommandations

Au delà des constats et de l’identification des causes des difficultés rencontrées par les jeunes issus de minorités visibles dans leur intégration en emploi, les participants ont avancé un certain nombre de propositions, destinées tant à Emploi- Québec qu’au gouvernement en général, pour tenter de mieux adapter l’intervention publique aux réalités de cette clientèle et ainsi contribuer à la résolution des problèmes auxquels elle est confrontée.

Programmes d’Emploi-Québec

Valoriser et financer adéquatement les organismes communautaires

De façon générale, on sent chez les participants le besoin d’une meilleure reconnaissance de leur expertise et de leur utilité par Emploi-Québec. En les associant directement à la conception des programmes, Emploi-Québec éviterait de renouveler certaines erreurs, notamment des programmes trop loin de la réalité du milieu. Un participant n’hésite pas à dire que les fonctionnaires n’ont pas le temps ni l’opportunité de descendre sur le terrain et qu’ils devraient donc plus s’appuyer sur les organismes communautaires dès l’étape de conception.

Allant de pair avec ce constat, les participants insistent tous sur la nécessité d’un meilleur financement de leurs activités : « parfois on est obligé de donner le quart d’un service [faute de financement adéquat], or le quart d’un service, c’est un fiasco ». Dans un autre groupe, un participant avance que « les organismes communautaires pourraient en faire dix fois plus si le gouvernement leur laissait la capacité de le faire » tandis qu’un participant d’un troisième groupe affirme qu’ « on ne peut pas attendre de ces organismes communautaires qu’ils jouent un rôle majeur face à des problèmes qui s’aggravent et en même temps les faire vivre dans la précarité ou les traiter seulement comme des prothèses conjoncturelles ». Une situation confirmée par une participante qui dénonce le fait que les organisations d’aide à l’emploi soient les premières à éprouver des difficultés pour garantir des postes stables à leur propres salariés. C’est dans cette même optique que plusieurs participants ont manifesté leur désarroi face aux projets pilotes qui ne se concrétisent jamais. Ainsi, peu de programmes avec lesquels ils travaillent durent plus de deux ou trois ans. À chaque fin de projet pilote, il faut remettre en cause le fonctionnement de l’organisme lui même, restructurer le personnel etc. Ces efforts nuisent à la continuité et à l’efficacité des organismes communautaires.

De façon plus précise, les participants ont avancé plusieurs pistes que devrait explorer Emploi-Québec pour améliorer son intervention.

Des programmes plus qualitatifs que quantitatifs

Une forte tendance se dessine dénonçant l’accent mis par Emploi-Québec sur le nombre de personnes touchées par chaque programme. Les jeunes issus de minorités visibles sont confrontés à bien des défis, tant en raison de leur âge que de leur origine nationale, et ils nécessitent donc une intervention plus poussée, complète et globale que d’autres clientèles. Ainsi, il serait plus approprié de penser des programmes plus longs et devant toucher moins de personnes, plutôt que de s’efforcer de vouloir intervenir auprès du plus de monde possible dans un court laps de temps, auquel cas l’encadrement des jeunes ne pourra être que superficiel. Évoquant les grands salons de l’emploi, une participante indique « j’aimerais mieux avoir moins de visiteurs qui sont allés plus loin que d’avoir un grand nombre et pouvoir dire « avec tant d’argent, on a touché tant de personnes » ». Une autre d’ajouter que, par exemple, « un programme de stage de 6 mois devant toucher 40 personnes, c’est trop court ».

Plusieurs intervenants ont insisté sur le fait que l’encadrement des jeunes issus de minorités visibles se doit d’être beaucoup plus individualisé que celui des autres clientèles, et donc que les programmes doivent être pensés en termes plus qualitatifs que quantitatifs.

La remarque vaut également pour le suivi des jeunes une fois embauchés. Face au problème de la rétention en emploi, bien des participants préconisent d’intégrer un solide volet de suivi dans tout programme touchant cette clientèle, afin de s’assurer que le jeune s’intègre correctement dans l’entreprise. Là encore, l’expertise des organismes communautaires est mise de l’avant pour aider, par exemple, un employeur à gérer le choc culturel que peut entraîner l’arrivée d’une personne issue d’une minorité visible dans son entreprise.

Enfin, cette vision est aussi valide pour la francisation. En effet, une participante précise que les organismes communautaire sont souvent mieux placés que les commissions scolaires pour assurer la francisation des minorités visibles dans la mesure où ils assurent un suivi complet et individualisé tandis que le fonctionnement des commissions scolaires n’incite pas nécessairement à la présence en classe et n’assure pas de suivi en cas d’absentéisme.

Élargissement des critères d’admissibilité

Plusieurs exemples d’inadaptation des critères d’admissibilité aux programmes d’Emploi-Québec avec la réalité des jeunes issus de minorités visibles ont été apportés. Ainsi, un participant cite le programme Solidarité Jeunesse dont étaient exclus d’office les immigrants parrainés. Or, dans le cas des jeunes Jamaïcains avec lesquels il travaille, une forte part d’entre eux est parrainée dans leur démarche d’immigration et ne peut donc pas bénéficier du programme. Pourtant, leurs besoins sont tout aussi criants que ceux des autres.

De la même façon, le fait que certains programmes exigent qu’une personne soit prestataire de l’assistance-emploi pour pouvoir être admissible est dénoncé par plusieurs participants. Une participante cite également l’exemple des programmes de formation proposés par Emploi-Québec à la seule condition qu’il y ait une recherche d’emploi effective auparavant. Or, pour bien des jeunes issus de minorités visibles, cette formation est de toute façon nécessaire. Ils viennent donc perdre leur temps à faire une recherche d’emploi en atelier dans un organisme, simplement pour pouvoir être admissible au programme de formation : « Je fais de la garderie dans ces ateliers là » n’hésite-t-elle pas à préciser.

Inciter les entreprises à mieux connaître cette clientèle

C’est unanimement que les participants ont insisté sur la nécessité d’agir auprès des employeurs afin de favoriser l’intégration en emploi des jeunes issus de minorités visibles. En effet, comme constaté plus haut, l’ignorance de la réalité de ces jeunes est perçue comme une cause majeure des discrimination dont ils sont victimes.

Ainsi, les participants s’entendent pour appeler à un développement des programmes proposant une subvention salariale à l’employeur. Ceux-ci sont réputés pour être les incitatifs les plus efficaces pour convaincre un employeur d’essayer un jeune, au moins pendant une période déterminée. Le CAMO Personnes immigrantes est cité en exemple par une participante qui suggère de l’élargir à l’ensemble des jeunes issus de minorités visibles, qu’ils soient nouveaux arrivants ou nés ici.

De même, un participant prône de petites rencontres sectorielles entre employeurs potentiels et candidats, afin de favoriser les contacts entre ces deux univers trop souvent séparés. Loin des grands salons de l’emploi, trop impersonnels et donc inefficaces, il est plutôt proposé de petites rencontres, sortes de table-ronde où, par exemple, une dizaine de recruteurs d’un secteur particulier rencontreraient une dizaine de jeunes cherchant un emploi dans ce secteur. La méthode, déjà testée dans certains CJE, semble efficace et comble à la fois le besoin de mieux se connaître mutuellement et le manque de réseau propre aux jeunes issus de minorités visibles. Emploi-Québec est invité à considérer ces expériences comme des pistes pour l’élaboration de ses futurs programmes.

Enfin l’importance des stages est soulignée à plusieurs reprises, pour peu que ceux-ci soient rémunérés. Même si les jeunes issus de minorités visibles semblent moins facilement trouver un emploi que les autres après un stage, ceux-ci restent un excellent moyen pour un jeune de faire ses preuves dans l’entreprise et ainsi de briser lui-même les préjugés. La non rémunération, outre le problème éthique qu’elle pose (« tout travail mérite salaire ») donnerait en plus l’impression au jeune d’avoir été exploité et ne ferait que renforcer ses préjugés et son pessimisme à l’égard du marché du travail.

Mieux adapter les structures d’Emploi-Québec

Sur le plan de l’organisation et du fonctionnement des instances gouvernementales, plusieurs intervenants plaident pour une meilleure coordination entre Emploi-Québec et les autres ministères, notamment celui des Relations avec les citoyens et de l’Immigration (MRCI). Bien qu’ils notent de récents efforts de rapprochement, les participants notent que les nouveaux arrivants sont encore trop souvent mal informés des réalités québécoises, tant sur le plan des programmes d’aide que sur celui, plus large, des réalités du marché du travail. Faire miroiter aux immigrants un Québec en forme d’« Eldorado » est dangereux dans la mesure où la déception vécue suite à l’arrivée au pays contribue à renforcer le sentiment d’exclusion. De même il conviendrait de mieux informer ces arrivants et les jeunes en général de leurs droits comme minorités visibles. Certains d’entre eux, affirme une participante, ne connaissent même pas la signification de l’expression « minorité visible » et donc encore moins les programmes qui s’y rattachent. Un autre participant rapelle que pour bien des immigrants en provenance de pays totalitaires, le fait de faire valoir librement ses droits n’est pas nécessairement un réflexe et qu’ils hésitent donc parfois à se prévaloir de tel ou tel texte ou de tel ou tel programme. Là encore, un travail d’éducation est préconisé, qui serait mené conjointement par Emploi-Québec et le MRCI.

Sur le plan des structures, une participante, approuvée par son groupe, invite également Emploi-Québec à mieux former ses agents à l’intervention interculturelle quand ceux-ci sont en contact avec ces clientèles. Des manques sont identifiés sur ce point, entraînant incompréhension et frustration de part et d’autre.

Au-delà des programmes

Les participants s’entendent sur le fait que tout ne pourra pas être réglé grâce aux programmes d’Emploi-Québec. L’intégration en emploi des jeunes issus de minorités visibles passe aussi par des actions touchant l’ensemble de la société. Les propositions des participants peuvent être inventoriées en deux grandes catégories.

Sensibiliser la population

La lutte aux préjugés passe nécessairement par un approfondissement des efforts gouvernementaux en matière de lutte contre le racisme. Plus spécifiquement, certains participants suggèrent une campagne nationale visant à publiciser des exemples positifs de jeunes issus des minorités visibles sur le marché de l’emploi afin de contrer les préjugés et de mieux faire découvrir la richesse de l’immigration à la population : « trop souvent, l’immigrant est encore perçu comme le voleur de job ». La campagne en faveur de l’enseignement professionnel et technique est citée en exemple d’une initiative de démystification publique relativement efficace. Emploi-Québec pourrait très bien jouer un rôle dans la conception et la gestion d’une telle campagne.

Plus spécifiquement, ce sont bien les employeurs et les recruteurs que les participants voudraient voir prioritairement touchés par cette campagne, afin que les discriminations, explicites ou implicites, diminuent. Mais les ordres professionnels et les syndicats sont aussi évoqués comme étant des organisations où la défense et la promotion des minorités visibles a encore du chemin à faire et où une campagne publique pourrait avoir un impact.

Passer au stade obligatoire

Il est fortement ressorti de tous les groupes qu’un certain degré de coercition est devenu nécessaire pour s’assurer de la bonne intégration des jeunes issus de minorités visibles. En effet, au-delà de la sensibilisation et de l’incitation, plusieurs participants pensent que la situation ne bougera vraiment que le jour où l’initiative législative sera prise pour assurer l’embauche de personnes issues de minorités visibles.

Face à l’échec des programmes d’accès à l’égalité, notamment dans la fonction publique, plusieurs participants appellent à l’instauration d’un système de discrimination positive, sur le modèle états-unien, seul outil véritablement efficace pour assurer une présence minimale de minorités visibles dans les entreprises, notamment aux postes de direction et au sein des comités de sélection. À terme, ceci permettrait que le recrutement soit véritablement pensé en fonction de la diversité culturelle de la société québécoise et permettrait la disparition, ou au moins l’atténuation, des cas de discrimination à l’embauche.

4. Conclusion

Cette recherche a permis de compléter utilement les travaux déjà engagés sur la situation des jeunes issus de minorités visibles face à l’intégration en emploi au Québec.

Outre les recommandations formulées explicitement par les participants, il conviendra sans doute de reprendre des éléments de causalité qu’ils ont soulevés et
d’en tirer d’autres recommandations qui n’ont pas été exprimées formellement.

Ainsi, la situation dénoncée à plusieurs reprises du très bas taux de recrutement de la fonction publique au sein des minorités visibles devrait être évoquée dans les recommandations, de même qu’un certain nombre d’éléments concernant les ordres
professionnels ou la reconnaissance des diplômes étrangers par exemple.

Au bout du compte, on constate que la situation des jeunes issus de minorités visibles est complexe et fortement imbriquée avec celle d’autres groupes auxquels ils appartiennent également : minorités visibles au sens large, jeunes, communautés culturelles, immigrants. Plus qu’une catégorie spécifique, les jeunes issus de minorités visibles présentent avant tout un cumul de « handicaps » dû à leurs multiples appartenances à des groupes eux-mêmes défavorisés. Les réponses à apporter à leurs problèmes sont donc larges et dépassent nécessairement leur stricte situation.

On pourrait toutefois lister les principales recommandations émises par les participants aux groupes de discussion comme suit :

-  Une valorisation des organisations communautaires à la fois en les impliquant
dans les conceptions de programmes et en leur assurant un financement
stable ;
-  Une adaptation des programmes d’Emploi-Québec à la réalité de ces jeunes,
notamment par une approche plus qualitative, un allongement des programmes
et un élargissement des critères ;
-  Une intervention accrue auprès des employeurs afin de mieux les sensibiliser
aux réalités de ces jeunes et les inciter à les embaucher ;
- Une action d’envergure sociale qui viserait à démystifier les qualités
professionnelles des jeunes issus des minorités visibles auprès de la population et des groupes sociaux (syndicats, ordres) ;
-  Le passage à une approche plus directe en instaurant des législations de discrimination positive permettant aux minorités visibles d’enfin intégrer les directions des entreprises et ainsi pouvoir faire changer les choses.

5. Recommandations du Comité aviseur-jeunes

5.1. Recommandations pour Emploi-Québec

1. Qu’Emploi-Québec reconnaisse pleinement l’expertise des organismes communautaires dans l’intégration en emploi des jeunes issus de minorités visibles en les associant à la conception de ses programmes.
2. Qu’Emploi-Québec reconnaisse le rôle central des organismes communautaires dans l’intégration en emploi des jeunes issus de minorités visibles en leur assurant un financement stable et garanti. Dans ce cadre, que la pratique des projets pilotes soit moins employée et que ces projets soient convertis en programmes stables lorsque leur efficacité a été démontrée.
3. Qu’Emploi-Québecappuiel’organisationd’événementssectorielspermettantaux jeunes de se faire valoir et de construire leurs réseaux.
4. Qu’en matière d’intégration en emploi des jeunes issus de minorités visibles, Emploi-Québec songe à des programmes plus qualitatifs que quantitatifs. Dans ce cadre, que les programmes d’Emploi-Québec visant ces jeunes soient plus longs et cherchent à viser moins de personnes. Dans ce cadre également, que des programmes avec subvention salariale soient développés.
6. Que les intervenants puissent référer directement les jeunes aux programmes d’Emploi-Québec sans que ces jeunes aient à passer par des étapes inutiles pour pouvoir être admissibles.
7. Qu’Emploi-Québec utilise ses liens avec les employeurs pour les inciter à mieux connaître les jeunes issus de minorités visibles. Dans ce cadre, qu’Emploi- Québec contribue à une valorisation des stages rémunérés comme moyen pour les jeunes de faire leurs preuves en emploi. Dans ce cadre également, qu’Emploi-Québec invite les employeurs à mieux reconnaître l’expérience acquise à l’étranger comme une expérience valable.
8. Qu’Emploi-Québec et les partenaires du marché du travail s’assurent qu’une information juste est donnée aux candidats à l’immigration tant sur la situation du marché du travail que sur les différents programmes d’aide auxquels ils ont droit.
9. Qu’Emploi-Québec,enpartenariatavecd’autresentitésgouvernementales,lance une campagne nationale de sensibilisation de la population aux bienfaits de l’immigration, en insistant particulièrement sur les qualités des néo-Québécois sur le marché du travail. Dans ce cadre, qu’un accent particulier soit mis sur les métiers des relations publiques, de la vente, et de toutes les professions en contact avec le public en général.

5.2. Recommandations pour le gouvernement du Québec

10.Que le gouvernement du Québec agisse auprès des ordres professionnels et des syndicats pour inciter ceux-ci à mieux reconnaître les diplômes obtenus à l’étranger.
11.Que le Conseil du trésor s’attarde à une refonte de la politique d’embauche des personnes issues de communautés culturelles au sein de la fonction publique québécoise afin que les Programmes d’accès à l’égalité soient véritablement appliqués, notamment en repensant l’ensemble des critères de sélection des candidats.
12.Que le Ministère des Relations avec les citoyens et de l’Immigration maintienne et augmente ses budgets alloués à la francisation des nouveaux arrivants.

Annexe 1 : Québec pluriel

Lors de la tenue des groupes de discussion avec les intervenants et de la rédaction du présent avis, la recherche-action Québec pluriel n’était toujours pas annoncée. Voilà pourquoi il n’en fut pas mention jusqu’à maintenant. Or quelques jours avant le dépôt de la première version de cet avis, la recherche-action Québec pluriel a été mise sur pied.

Parmi les projets de la recherche-action, nous pouvons constater que l’accent a été mis sur le mentorat et sur l’intégration des entreprises à la démarche d’insertion. Cette approche semble confirmer les conclusions du présent avis. Le développement de mesures par la communauté, la sensibilisation des entrepreneurs, le réseautage et le mentorat sont, selon les conclusions de notre avis, des approches prometteuses pour l’intégration des personnes issues de minorités visibles.

Il faut aussi noter qu’il s’agit de la première fois où le gouvernement prend l’initiative d’aller vers les jeunes défavorisés et de leur proposer des mesures d’intégration en emploi. Cette attitude positive et la reconnaissance que les jeunes issues de minorités visibles connaissent des problématiques particulières sont des aspects très positifs du projet.

Finalement, il serait pertinent, pour le CAJ, de suivre l’évolution du dossier et de publier un avis, lors du prochain exercice, sur les suites à donner à la recherche-action. Ainsi, le CAJ pourrait, dès maintenant, prendre part à l’évaluation en cours.

Recommandations
-  Que le CAJ suive de près les suites de la recherche-action et soit associé aux prochaines étapes de celle-ci.

[1Loi sur l’équité en matière d’emploi, 1995, ch. 44, art. 3.

[2Chiffres tirés du recensement de 2001. Statistique Canada. 2001. Profil de communauté de 2001 – Montréal. En ligne [www.statcan.ca]. Page consultée le 12 mai 2004.

[3Conseil des relations interculturelles. 1999. « Diversité ethnoculturelle et jeunesse québécoise : pour une meilleure participation au Sommet du Québec et de la jeunesse ». Avis présenté au ministre des Relations avec les citoyens et de l’Immigration, 26 mai.

[4Conseil canadien de la statistique juridique. 2001. Les minorités visibles au Canada : série de profils. Ministère de l’Industrie du Canada, juin et Statisques Canada. Population selon certains groupes d’âge et le sexe pour le Canada et les régions métropolitaines de recensement, recensement de 1996 – Données intégrales. En ligne [http://www.statcan.ca/francais/census96/cma_f.html]. Page consultée le 12 mai 2004.

[5Canadian Race Relations Foundation. 2000. Unequal Access. A Canadian Profile of Racial Differences in Education, Employment and Income.

[6Canadian Race Relations Foundation, op. cit.

[7Conseil des relations interculturelles, op. cit.

[8En 1996, 47,5 % des personnes issues de minorités visibles nées au Canada étaient titulaires d’un diplôme universitaire contre 35,4 % pour celles nées en dehors du Canada et 26,6 % pour la population dans son ensemble. Cf. Canadian Race Relations Foundation, op. cit.

[9Ministère de l’éducation du Québec. 1999. « La scolarité de la population adulte des principales communautés culturelles au Québec ». Bulletin statistique de l’éducation, no11, mai.

[10Jim Torcznyer et S. Springer. 2001. L’évolution de la communauté noire à Montréal : mutations et défis. Montréal : Consortium de McGill pour l’ethnicité et la planification sociale stratégique. Cf. également Canadian Race Relations Foundation, op. cit. et Statistiques Canada. 1997. Regard sur les groupes d’équité en matière d’emploi chez ceux ayant récemment obtenu un diplôme d’études post-secondaires : minorités visibles, peuples autochtones et personnes limitées dans leurs activités quotidiennes. Rapport no 97-07.

[11Ceux nés ici connaissaient un taux de chômage de 10 % à Montréal en 1996 contre 17,5 % pour ceux nés en dehors du Canada. Cf. CAMO-PI. 2001. La situation des travailleurs salariés immigrants et membres des communautés culturelles au Québec : faits saillants et pistes d’action. Octobre.

[12CAMO-PI. 2003. Étude exploratoire sur la situation des salariées immigrantes au Québec : recensement 1996. CAMO-PI et Emploi-Québec.

[13Cf. Myriame El Yamani. 1997. L’emploi des jeunes : un enjeu de société. Québec : ministère des Relations avec les citoyens et de l’Immigration, février.

[14On rejoint ici les discrimination que peuvent subir les communautés culturelles dans leur ensemble, qui ne sont pas toutes nécessairement des minorités visibles. La frontière est délicate à tracer puisque la discrimination n’est pas explicitement liée à la couleur de la peau mais plus largement au fait d’être étranger.

[15Cf. par exemple Jean-Sébastien Marchand. 2004. « Entreprises en technologies de l’information et de la communication – « Si un candidat ne comprend pas un mot d’anglais, qu’il oublie ça ! » ». La force des mots, Confédération des syndicats nationaux, mars, p. 2-4 et le dossier de L’Action nationale, vol. 93, no 7, septembre 2003.

[16Canadian Race Relations Foundation, op. cit.

[17CAMO-PI. 1999. L’intégration économique des jeunes de minorités visibles : vers une stratégie d’intervention concertée des organismes d’intervention.

Extrait

Le CAJ a fait le constat que les recherches menées jusqu’à présent sur la question permettaient d’avoir un bon tableau de la situation mais n’offraient que trop peu d’éléments quant aux pistes de solution proposées par le milieu communautaire en matière d’intégration des jeunes de minorités visibles au marché du travail.

La démarche choisie par le CAJ est donc la suivante. Après avoir fait un rappel des principales études existantes et de leurs conclusions quant à la situation des jeunes de minorités visibles, plusieurs groupes de discussion rassemblant des intervenants du milieu communautaire permettront de lister les principales recommandations avancées par ces groupes. La méthodologie des groupes de discussion sera abordée plus en détails par la suite

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