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05 décembre 2007

Le travail atypique au Québec

PRÉFACE

Jean Bernier, professeur émérite Département des relations industrielles Université Laval

Il y aura bientôt cinq ans qu’a été rendu public le rapport du comité d’experts sur « les besoins de protection sociale des personnes en situation de travail non traditionnelle ». Il convient de saluer l’initiative du Comité aviseur-jeunes d’Emploi-Québec de se pencher à nouveau sur la question non seulement pour en faire le rappel mais pour procéder à une mise à jour des données de base et à une actualisation des constats.

Force est de constater que l’emploi atypique occupe toujours une place importante dans le marché du travail, qu’il s’agisse de l’emploi à temps partiel ou de l’emploi occasionnel ou temporaire, de l’emploi à titre d’entrepreneurs indépendants ou d’emploi salarié par l’intermédiaire d’une agence de location de personnel. Les emplois atypiques ne sont pas toujours synonymes de pauvreté. Néanmoins, il demeure que pour beaucoup de travailleurs, en particulier chez les jeunes et chez les femmes, ces formes emplois dits non traditionnels portent la marque de la précarité et conduisent à cet état qu’on désigne sous le vocable de travailleurs vulnérables.

Selon des études conduites par le Réseau canadien de recherche sur les politiques publiques, cette vulnérabilité se caractérise soit par l’exclusion de la protection offerte par les lois du travail lorsqu’il s’agit de travailleurs à leur propre compte ou considérés faussement comme tels, soit par la difficulté, voire l’impossibilité de faire valoir leurs droits lorsqu’ils sont salariés assujettis à la loi définissant des conditions minimales de travail, soit par leur privation d’accès à des régimes complémentaires de protection sociale tels que l’assurance maladie ou des régimes de retraite, qu’ils soient couverts ou non par une convention collective de travail. Certains n’ont pas accès à l’assurance emploi ni à la formation en cours d’emploi. Leurs chances d’avancement dans l’entreprise ou d’accès à des emplois de qualité sont très faibles sinon pratiquement nulles. Souvent, en raison de leur dispersion ou du type d‘emploi qu’ils occupent et dans l’état actuel du droit du travail, ils n’ont pas accès à la représentation collective.

Il s’agit là d’une situation de plus en plus préoccupante car, si elle conduit souvent les travailleurs à la pauvreté à court terme, elle risque de produire des effets à long terme, préjudiciables aussi bien aux entreprises qui peineront à trouver une main-d’œuvre qualifiée qu’à la société toute entière qui devra suppléer aux besoins de ces personnes exclues de larges pans de la protection sociale.

On aura constaté également que, mis à part quelques modifications apportées à la Loi sur les normes du travail en décembre 2002 de même que la mise en place, en 2006, du régime québécois d’assurance parentale, à peu rien n’a été fait aux plans législatif ou réglementaire, pour assurer une meilleure protection sociale aux personnes qui occupent des emplois dits atypiques. Rien visant à interdire aux travailleurs temporaires, salariés d’agence ou non, les travaux particulièrement dangereux ou nécessitant un suivi médical malgré les statistiques alarmantes sur l’incidence d’accidents chez les jeunes travailleurs et chez les salariés d’agence. Rien sur la disparité de traitement en fonction du statut d’emploi malgré les écarts dans les conditions de travail entre les salariés permanents à temps complet et ceux qui font le même travail à temps partiel ou comme occasionnels, syndiqués ou non. Rien pour faciliter la qualification du statut de salarié, notamment le statut de ceux qu’on considère faussement comme des travailleurs indépendants malgré le recours fréquent à ce que l’O.I.T. appelle, la relation de travail déguisée. Rien pour encadrer l’activité des agences de location de personnel, malgré les abus démontrés auxquels peuvent conduire les relations de travail triangulaires.

Évidemment, dans le contexte de la mondialisation et de la concurrence que celle-ci entraîne non seulement entre les entreprises mais entre les États, ces problèmes d’accès et de disparité ne sauraient trouver réponse facilement et en une seule fois. D’ailleurs, ces difficultés ne sont pas le propre du Canada ou du Québec, elles sont communes à tous les pays industrialisés, dont il faut noter cependant que plusieurs d’entre eux s’y sont attaqué bien avant nous. Le Parlement européen et les États membres de l’Union Européenne ont entrepris depuis une vingtaine d’années de se doter d’instruments juridiques dans le but de réduire les effets indésirables du travail atypique chez les travailleurs. De son côté, la Conférence Internationale du Travail (O.I.T.), qui en a débattu, notamment, lors de sa session de 2003 et celle de 2006, s’est montré très inquiète des difficultés soulevées à travers le monde par les diverses formes de déguisement de la relation de travail dans le but de « lui donner une apparence différente de la réalité afin d’annuler ou de dissimuler la protection offerte par la loi ».

Dans ce contexte, l’Avis du Comité aviseur-jeunes tombe à point nommé. Il interpelle tous les acteurs sociaux et les oblige à poser à nouveau la question de savoir s’il est socialement acceptable que l’accès à la protection sociale puisse varier en fonction du statut d’emploi du travailleur. Plus qu’un rappel, il constitue une invitation pressante pour que soient aménagées dès maintenant des conditions favorisant l’accès à des emplois de qualité ainsi qu’à une protection sociale adéquate à l’ensemble de personnes occupant des emplois atypiques.

SOMMAIRE EXÉCUTIF

L’avis démontre que la précarité demeure une caractéristique fréquente des formes d’emploi atypiques. Cette précarité découle surtout des bas salaires, de l’insécurité d’emploi et de déficiences sur le plan de la couverture des divers régimes de bénéfices ou de protection sociale. Le Rapport Bernier a démontré qu’un grand nombre de travailleurs atypiques a de la difficulté à bénéficier des avantages et des protections des normes et des lois sur le travail. Principalement, les travailleurs rencontrent des problèmes d’exclusion, de disparité de traitement ou de difficultés dans l’application des droits existants.

La définition que nous avons retenue pour cet avis est celle du Rapport Bernier, soit l’emploi marqué par l’absence de l’une ou l’autre des caractéristiques de l’emploi typique. Elle repose sur quatre variables : la nature du contrat de travail, le lieu de travail, la durée de la semaine de travail et la régularité de l’horaire de travail. Quatre formes d’emploi sont considérées atypiques : l’emploi à temps partiel, l’emploi temporaire, le télétravail ou travail à domicile et le travail autonome. L’essor des nouvelles formes d’emploi constituant le « travail atypique » s’est amorcé dans les années 1970, et il a été très important jusqu’à la fin des années 1990, avant de se stabiliser. De 1976 à 1995, la part de l’emploi salarié (temps plein et partiel) dans l’emploi total a décliné de 91 à 85,7 % au Québec. Toutes les formes non traditionnelles d’emplois ont augmenté leur part dans l’emploi total, alors que l’emploi à plein temps a décliné de 12,6 %. Par la suite, entre 1995 à 2007, l’emploi à temps plein a connu une augmentation notable [1]. Toutefois, cette situation n’a pas eu pour effet d’atténuer l’existence d’emploi atypique involontaire, forme d’emploi causant beaucoup de précarité.

Le travail atypique a des impacts sur le monde du travail. Généralement, il réduit l’attachement et la loyauté du salarié envers l’entreprise, ainsi que sa motivation, ce qui peut mettre en péril sa productivité et sa capacité d’adaptation. Les travailleurs, surtout les plus vulnérables, sont durement touchés. Ils ont accès à moins de protection et ont des difficultés à se faire représenter collectivement. La pauvreté et l’insécurité liées aux bas revenus et à la durée indéterminée de l’emploi sont monnaies courantes. Chez les jeunes, l’insertion professionnelle s’allonge ; les dettes d’études sont difficiles à rembourser ; les revenus sont moins élevés ; la pauvreté augmente ; l’accès au logement se complique et le projet familial est retardé de plusieurs années, quand il n’est pas abandonné. Les femmes sont plus présentes dans ces formes d’emploi que les hommes. Certaines d’entre-elles sont donc plus touchées par les problèmes liés à ces formes d’emploi. Leurs difficultés sont accrues du fait que nombre d’entre elles assument, seules ou avec un conjoint, des responsabilités familiales pouvant compliquer leur insertion dans un emploi plus stable ou permanent. Selon le Rapport Bernier, 25 % à 30 % de la main-d’œuvre se retrouve hors du champ du droit du travail. Cette situation est inquiétante.

Le Rapport Bernier et plusieurs autres documents sur le sujet démontrent que le Québec n’est pas aussi avancé que l’Europe et des organismes internationaux comme l’O.I.T. sur le plan des protections sociales offertes aux travailleurs atypiques. Les principaux problèmes résident notamment dans des exclusions et des disparités de traitement pour ce qui est des normes du travail, de la rémunération et des avantages sociaux et de la représentation collective. Le manque d’encadrement quant à ces formes d’emploi cause des préjudices à certains salariés.

Du côté d’Emploi-Québec, on considère le travail atypique comme une forme de sous-emploi. Les personnes en sous-emploi ont accès aux mesures de Services d’aide à l’emploi (SAE), aux Mesures de formation de la main-d’œuvre (MFOR) et au Programme d’apprentissage en milieu de travail (PAMT) qui sont ouverts aux personnes en emploi. En raison de l’approche individualisée qui est la sienne, Emploi-Québec ne retient pas de statistiques précises sur le nombre de ses participants qui sont en sous-emploi et n’a pas fait d’évaluation spécifique du succès des mesures actives auprès de ce type de personne.

Le travail atypique au Québec

Les groupes plus vulnérables sont davantage affectés par les transformations du marché du travail. Le travail atypique risque alors de devenir pour eux un piège à long terme, plutôt qu’un état de transition. Les jeunes sont particulièrement nombreux dans le travail à temps partiel et le travail temporaire et beaucoup moins dans le travail autonome. En 1998, pendant la période d’étude, 65,4 % des travailleurs à temps partiel de 15-29 ans étaient involontaires. Les femmes représentaient, entre janvier et mars 2007, près de 65 % des travailleurs à temps partiel. De plus, la part de travail à temps partiel chez les femmes est plus importante entre 35 et 54 ans, alors que chez les hommes c’est plutôt dans le bas et le haut de la pyramide d’âge qu’on retrouve ces travailleurs. Cela laisse supposer qu’il ne s’agit pas là d’une situation transitoire pour un grand nombre d’entre-elles. En nombre absolu, les femmes sont plus nombreuses que les hommes à occuper un emploi à temps partiel involontaire. Au Québec, en 2006, les hommes travailleurs autonomes étaient presque deux fois plus nombreux que les femmes, et trois fois plus dans le cas des employeurs.

De 1997 à 2004, la rémunération horaire des employés à temps partiel et des temporaires a toujours été inférieure à celle des temps plein et des permanents. Les travailleurs atypiques sont mal protégés contre la discrimination salariale. Les législations actuelles encadrant la disparité de traitement laisse encore place à amélioration. En effet, à partir du moment où le taux horaire d’un travailleur à temps partiel non-syndiqué dépasse le double du salaire minimum, il est encore possible de lui offrir une rémunération inférieure à celle des salariés accomplissant la même tâche à temps plein. Quant aux travailleurs temporaires, occasionnels, à domicile ou fournis par une agence de placement, ils n’ont aucune réelle protection sur ce plan. Les salariés des agences de placement temporaire sont particulièrement atteints négativement. Au Canada, leur salaire horaire se situait, en 2003, 40 % sous celui des salariés permanents et l’écart continue de croître. En général, les femmes continuent d’être moins bien rémunérées que les hommes.

Le cumul d’emplois a, pour sa part, connu une croissance importante (42,7 %) de 1998 à 2006. Il concerne environ 3,9 % des travailleurs, partagés à peu prés également entre les deux sexes. Ce sont surtout les 25-44 ans qui cumulent des emplois (51,1 %). Les 15-24 ans sont 18.3 % à le faire. Un travailleur sur trois cumulant des emplois travaille 50 heures et plus par semaine. Ils sont 23 % à cumuler 40 à 49 heures dans leur seul emploi principal.

Construire sur le socle du Rapport Bernier

Le Comité devait dresser un inventaire des travailleurs atypiques, de leurs besoins en matière de protection sociale et des moyens pour répondre à ceux-ci. Le Rapport affirme que les définitions actuelles des termes « salariés » et « travailleurs », donnant accès aux régimes de protection sociale liés au travail, ne sont pas adaptés à la situation réelle des travailleurs atypiques. De plus, certaines définitions rendent les régimes incohérents les uns par rapport aux autres. Il fait aussi remarquer le manque de limitation et d’encadrement du recours au travail atypique au Québec, par rapport à ce qui existe en Europe et par rapport aux normes de l’O.I.T. Le travail atypique poserait principalement problème quant au remplacement de revenu en cas de congés ou d’absence ; quant à l’accès aux avantages législatifs, quant au droit d’association ou de représentation collective ; quant à l’identification de l’employeur et quant aux remèdes liés à la protection de l’emploi.
Le Rapport Bernier émet des recommandations basées sur trois principes :

  • Une qualification de la relation d’emploi entièrement d’ordre public ;
  • L’accessibilité des régimes de protection sociale au plus grand nombre ;
  • La disparité de traitement fondée sur le statut d’emploi est socialement inacceptable.

L’élément central des recommandations est une nouvelle définition de la notion de salarié, que le Comité souhaite voir étendue à l’ensemble des législations du travail afin d’assurer une plus grande accessibilité aux lois du travail, l’élimination des disparités de traitement et l’apparition d’une présomption de relation salarié-employeur dont bénéficierait le travailleur en cas de litige.

Le Rapport souhaite aussi que les lois soient modernisées afin d’éliminer les dispositions ne tenant pas compte des situations particulières vécues par les travailleurs atypiques et entraînant, de ce fait, une disparité de traitement entre ces derniers et les travailleurs au statut traditionnel effectuant la même tâche qu’eux.

En ce qui concerne les travailleurs autonomes, la recommandation centrale du Rapport vise la modification de la Loi sur la santé et sécurité du travail afin que les travailleurs autonomes aient les mêmes droits et obligations que les autres travailleurs.

Il y a eu relativement peu de gestes posés sur le thème du travail atypique depuis le dépôt du rapport, et les gestes posés n’ont pas nécessairement été dans le sens du Rapport. Le Projet de loi no 143, adopté en 2002, a corrigé certaines lacunes des Normes du travail en ce qui concerne les travailleurs atypiques, notamment en renforçant le caractère universel de la loi. Il ne comprenait toutefois rien quant à une éventuelle redéfinition du terme « salarié » donnant accès aux protections.

La période de service continu requise comme condition d’un recours à l’encontre d’un congédiement injustifié est passée de trois à deux ans. Les protections à l’encontre d’une pratique interdite ont été renforcées. De plus, le statut de salarié est maintenu lorsque l’employeur apporte des changements au mode d’exploitation de son entreprise, sauf si ces changements modifient de facto son statut. Dans ce dernier cas, le salarié peut contester auprès de la Commission des normes du travail. Toutefois, l’employeur n‘a pas à attendre l’issue d’un recours spécifique permettant au salarié de demander à un tiers de se prononcer sur les conséquences des changements apportés par l’employeur sur son statut.

Les projets de loi no 7 modifiant la Loi sur les services de santé et les services sociaux et no 8 modifiant la Loi sur les centres de la petite enfance et autres services de garde à l’enfance ont été décriés par les syndicats et les groupes communautaires impliqués auprès des travailleurs. Dans les deux cas, il a pour effet de transformer des salariés – dont le statut avait pourtant été confirmé à maintes reprises par les tribunaux – en travailleurs autonomes. Ils rendent caduques les ententes précédentes entre les représentants des travailleurs et leurs employeurs, le gouvernement (qui est aussi l’employeur…) s’accordant le droit de décréter les conditions de travail de ces travailleurs. Ces deux projets de loi (no 7 et no 8) semblent aller à l’encontre du projet de loi no 143, lequel reconnaissait le droit au maintien du statut de salarié et élargissait la portée de la loi en incluant les gardiens et gardiennes de personnes. Il va aussi totalement à l’encontre du Rapport Bernier en impliquant l’une des parties de la relation de travail (l’État) dans la qualification du statut du travailleur. De plus, non seulement le projet de loi ne présume- t-il pas d’une relation salarié/employeur (comme le suggérait la recommandation 3 du Rapport) mais il fait exactement le contraire !

Le Comité aviseur-jeunes émet, dans la conclusion de cet avis, recommandations visant à améliorer la situation des travailleurs atypiques involontaires quant à l’accès aux protections sociales et afin d’éviter l’existence des disparités de traitement. Une recommandation s’adresse à la CPMT et concerne la promotion des choix de gestion axés sur l’innovation, la formation de la main-d’œuvre et l’ajout d’une plus-value aux produits et services. Pour Emploi-Québec, le CAJ demande la conduite d’une étude qualitative sur la situation des jeunes de moins de 30 ans et des femmes en situation de travail atypique. Finalement, l’effort législatif demandé au gouvernement du Québec concerne surtout l’adaptation de la législation du travail à la situation réelle des travailleurs atypiques.

LISTE DES RECOMMANDATIONS

Recommandation 1
Que le gouvernement du Québec encadre davantage le recours aux travailleurs atypiques, notamment le recours aux employés temporaires et aux travailleurs fournis par une agence de placement de personnel.

Recommandation 2
Que la CPMT fasse la promotion du choix de gestion axés sur l’innovation, la formation de la main-d’œuvre et l’ajout d’une plus-value aux produits et services, et qu’elle offre des services en ce sens dans le cadre de ses mesures destinées aux entreprises.

Recommandation 3
Que le gouvernement du Québec modifie, dans le sens proposé par le Rapport Bernier, les définitions des termes « salariés » et « travailleurs » dans l’ensemble de la législation sur le travail.

Recommandation 4
Qu’Emploi-Québec sépare le travail atypique des autres formes de sous-emploi dans ses orientations stratégiques et dans ses informations de gestion. L’utilisation d’un tel concept devrait permettre à Emploi-Québec de produire des informations plus précises sur l’état des travailleurs en situation de travail atypique, leur utilisation des mesures d’Emploi-Québec et d’évaluer le succès de ces mesures.

Recommandation 5
Qu’Emploi-Québec mène une étude qualitative auprès des jeunes de moins de 30 ans et des femmes en situation de travail atypique. Cette étude devrait porter une attention particulière aux causes et aux conséquences de cette situation d’emploi, sa durée et les éléments qui empêchent ou favorisent l’entrée dans des formes d’emplois plus traditionnelles. Dans le cas des jeunes, l’accent devrait être mis sur ceux qui ne sont plus aux études.

Recommandation 6
Que le gouvernement du Québec légifère, dans le sens du Rapport Bernier, pour éviter l’existence des disparités de traitement entrepris avec le projet de loi no 143.

Recommandation 7
Que le ministère du Travail donne rapidement suite à son Groupe de travail portant sur l’industrie du placement temporaire.

INTRODUCTION

Ces trente dernières années, le marché du travail a connu des bouleversements importants dont l’impact s’est fait durement sentir sur une partie de la main-d’œuvre. Les choix de gestion des entreprises, l’évolution des technologies et la pression de la mondialisation ont érodé le lien d’emploi traditionnel et fait émerger des formes d’emploi s’éloignant du modèle traditionnel de l’emploi permanent à temps plein. On pense notamment à l’emploi à temps partiel involontaire, l’emploi temporaire, le travail autonome (dépendant ou indépendant) et le télé-travail ou travail à domicile. Le cumul d’emplois, qui n’est pas tant une nouvelle forme d’emploi qu’une de ses conséquences, peut aussi s’ajouter à cette liste.

Tous les groupes de travailleurs sont touchés par cette évolution du marché du travail, quoique de manière inégale. Pour certains, les nouvelles formes d’emploi permettent une meilleure conciliation de l’emploi avec d’autres projets. Pour de nombreux autres toutefois, elles compliquent beaucoup la recherche d’un emploi stable et bien rémunéré. Sans surprise, les groupes de travailleurs les plus vulnérables, qui avaient déjà de la difficulté à se tailler une place enviable sur le marché du travail, sont à ranger dans la deuxième catégorie. Ainsi, le travail atypique touche une plus grande proportion de jeunes [2], de femmes, de travailleurs faiblement scolarisés et peu spécialisés et d’immigrants. Dans leur cas, les désavantages de ces nouvelles formes d’emploi l’emportent généralement sur les avantages.

On ne peut faire d’adéquation parfaite entre précarité et travail atypique. Certains travailleurs atypiques se tirent très bien d’affaires, alors que des travailleurs permanents à temps plein vivent une insécurité économique importante. Toutefois, l’ensemble des travaux réalisés sur la question du travail atypique montre que la précarité est une caractéristique fréquente de ce type de lien d’emploi. Cette précarité tient surtout aux salaires, souvent plus bas que pour les travailleurs à temps plein, à l’insécurité d’emploi et à la difficulté de bénéficier des divers régimes de bénéfices ou de protection sociale.

Cette dernière caractéristique du travail atypique est celle qui retient notre attention ici. Le CAJ s’intéresse particulièrement au Rapport Bernier, lequel a démontré qu’un grand nombre de travailleurs atypiques a de la difficulté à bénéficier des avantages et des protections des normes et des lois sur le travail. Principalement, les travailleurs rencontrent des problèmes d’exclusion, de disparité de traitement ou de déficience dans l’application des droits existants. La permanence des changements dans les liens d’emploi oblige à revoir le droit du travail et les régimes de protection sociale liés à l’emploi dans une perspective nouvelle. Présentement, le lien d’emploi et le lieu de travail demeurent les deux critères opérants de la plupart des législations sur le travail, ainsi que des différents régimes de bénéfices ou de protection. Cela a comme conséquence d’isoler ou de placer dans des zones grises un nombre de plus en plus important de travailleurs. Cet avis se concentre surtout sur le sort des jeunes et des femmes, deux groupes de population particulièrement touchés par cette réalité.

La première partie de l’avis définit ce que nous entendons par travail atypique et précise les formes d’emploi qui le constituent. Les causes de l’apparition de ces nouveaux liens d’emploi et certaines de leurs conséquences sont discutées dans cette partie, ainsi que l’impact des actions de l’État sur la gestion des entreprises. La vision qu’Emploi-Québec se fait du travail atypique (qu’il qualifie plutôt de « sous-emploi ») et les actions qu’il a entreprises ou entend entreprendre pour en corriger les principaux problèmes sont aussi explorées.

Une seconde partie présente un portrait quantitatif et, dans la mesure du possible, qualitatif, du travail atypique au Québec. Elle vise à renseigner sur l’impact du travail atypique chez les jeunes et les femmes et sur les disparités régionales.

Enfin, les conclusions et recommandations du Rapport Bernier, en particulier celles touchant les jeunes et les femmes, sont explorées dans la dernière section. Il faudra voir quels gestes ont été posés par le gouvernement depuis le dépôt de ce rapport et ceux qui restent à poser pour améliorer la situation.

A. COMPRENDRE LA NOTION DE TRAVAIL ATYPIQUE

Le concept de travail atypique demande à être précisé, Cette partie présente notre définition du travail atypique et les formes d’emploi qu’il concerne (i), ainsi qu’une explication de son évolution récente (ii). Enfin, elle s’attarde aux actions d’Emploi-Québec pour contrer le sous- emploi (iii).

i. Le travail atypique

a. Définition du travail atypique

Sans être tout à fait consensuelles, les diverses définitions du travail atypique se rejoignent assez largement. Très souvent, ce sont des considérations d’ordre pratique qui président au choix d’une définition particulière. C’est le cas en particulier en recherche, où la détermination d’un objet d’étude précis ou l’accès à des statistiques peuvent motiver le choix d’une définition.

En règle générale, le travail atypique se définit par ses différences avec le travail typique. La définition la plus large, utilisée par Matte, Baldino et Courchesne dans un document du ministère du Travail [3], considère comme atypique « tout ce qui n’est pas un emploi salarié permanent et à plein temps » (Matte, Baldino et Courchesne, 1998, p. 17). Cette définition permet d’inclure dans le travail atypique quatre formes d’emploi non-exclusives [4] : l’emploi à temps partiel (volontaire ou involontaire), le travail autonome, l’emploi temporaire (à contrat, saisonnier, occasionnel ou trouvé par le biais d’une agence) et le cumul d’emplois. Dans son avis sur le travail atypique [5], le Conseil permanent de la jeunesse reprend cette définition, en la limitant aux emplois à temps partiel, autonomes et temporaires. Le Conseil ajoute qu’il peut être difficile de circonscrire ce type d’emploi en raison de la multiplicité des liens d’emploi hétéroclites qu’il peut comprendre : « l’emploi atypique ou non standard, est celui qui ne peut être identifié ou classé. Bref, l’emploi atypique est « hors-norme » » (Blondin et Lemieux, 2001, p. 9).

Vosko et al. proposent une définition plus restrictive, laquelle exclue le travail indépendant et le cumul d’emplois, afin de ne conserver que des formes d’emploi exclusives. Les auteurs justifient ceci par le fait que « les travailleurs à temps plein occupant un deuxième emploi ne sont pas nécessairement dans une situation précaire, ni d’ailleurs les travailleurs autonomes à compte propre, étant donnée qu’ils ont une relation de travail permanente avec eux-mêmes » (Vosko et al., 2003, p. 2). C’est un bon exemple de choix de définition en lien avec l’examen d’un sujet d’étude précis, puisque les auteurs cherchent, dans ce texte, à conceptualiser le travail précaire. Le texte de Vosko et al. nous permet aussi de prendre en compte des différences avec la notion américaine de travail non conventionnel. Beaucoup plus restrictive que la notion de travail atypique, cette notion a tendance à se limiter à l’emploi temporaire (un an ou moins) à temps partiel et à temps plein.

Une autre définition du travail atypique y fait entrer la notion de précarité (sur laquelle nous reviendrons plus bas) : « des types moins bien rémunérés de régimes de travail non permanent, qui comprennent le travail à forfait, l’emploi par l’intermédiaire d’une agence de placement temporaire, l’emploi continu de courte durée, le cumul d’emplois, le travail à temps partiel non permanent et le travail autonome lorsque la travailleuse ou le travailleur n’embauche personne d’autre » [6].

Emploi-Québec inclut le travail atypique dans un concept plus large : le sous-emploi. Ce concept est surtout axé sur le fait d’occuper une forme d’emploi insatisfaisante ou précaire de manière involontaire et chronique. Cela inclut donc, par exemple, les travailleurs surqualifiés pour les emplois qu’ils occupent, au même titre que les travailleurs à temps partiel ou les travailleurs temporaires qui n’ont pas choisi cette situation. Nous reviendrons plus loin sur cette définition d’Emploi-Québec et ses implications dans la partie réservée à cet effet (A.iii).

La définition que nous retenons pour cet avis est celle du Rapport Bernier [7]. La raison en est fort simple : nous cherchons à analyser les conclusions et recommandations de ce rapport. La logique exige donc que nous gardions les mêmes paramètres que ce dernier. En accord avec l’ensemble des auteurs cités plus haut, le Rapport Bernier définit le travail atypique par l’absence de l’une ou l’autre des caractéristiques de l’emploi typique (Bernier, Vallée et Jobin, 2003a, p. 31). Elles reposent sur quatre variables, soit la nature du contrat de travail, le lieu de travail, la durée de la semaine de travail et la régularité de l’horaire de travail. Conséquemment, les caractéristiques de l’emploi typique sont :

  • Le temps complet avec horaire régulier ;
  • Le fait de travailler dans l’établissement de l’employeur ;
  • Le contrat de travail est à durée indéterminée.

La définition du Rapport Bernier recouvre quatre formes d’emploi : l’emploi à temps partiel, l’emploi temporaire, le télétravail ou travail à domicile et le travail autonome. Chacune de ses formes d’emploi marque une rupture avec au moins une des caractéristiques du travail traditionnel.

Deux autres notions nous intéressent particulièrement en vertu de l’objet de cet avis, soit le travail précaire et les travailleurs vulnérables. Au départ, la précarisation du travail renvoyait à l’utilisation de main-d’œuvre occasionnelle pour remplacer les travailleurs à temps plein. « Ce terme s’applique maintenant à tous les emplois susceptibles d’offrir moins de sécurité que le travail typique pour ce qui est des heures, des gains et des avantages sociaux » (Vosko et al, 2003, p. 1). L’organisme Au bas de l’échelle fait par ailleurs remarquer que la précarisation n’existe pas par hasard : « elle résulte de stratégies de gestion visant à réduire les coûts de la main-d’œuvre et à augmenter la flexibilité, en évitant le paiement des charges sociales, en diminuant la sécurité d’emploi, en restreignant l’accès à la syndicalisation, en contournant certaines lois du travail » (Paquet, 2007, p. 7).

Pour Vosko et al., la précarité d’emploi, tout comme le faible revenu d’ailleurs, est très souvent un aspect du travail atypique. C’est aussi l’avis de Stephenson et Emery, selon qui le travail atypique est « un facteur clé de la vulnérabilité économique croissante d’une main-d’œuvre de plus en plus nombreuse, en particulier des mères seules et des enfants à leur charge » (Stephenson et Emery, 2003, p. vi). Toutefois, il ne faut pas confondre les deux.

Le CPJ définit la précarité d’emploi en fonction de quatre indicateurs [8] :

  • La durée déterminée, courte ou incertaine de l’emploi ;
  • L’accès limité ou inexistant aux avantages sociaux ;
  • La faiblesse et l’irrégularité des revenus d’emploi ;
  • Le « choix involontaire » d’une forme d’emploi.

Cette vision de la précarité d’emploi rejoint sensiblement la définition retenue par certains chercheurs européens [9], lesquels définissent l’emploi précaire en fonction :

  • De la stabilité de l’emploi permanent : limite de temps et risque de perdre l’emploi ;
  • Du contrôle du processus de travail (syndicat, conditions de travail, rémunération, rythme du travail) ;
  • De la protection réglementaire ;
  • Du niveau de revenu.

Cette notion de précarité d’emploi est à rapprocher de la notion de « travailleur vulnérable », développée surtout dans le cadre du projet sur les travailleurs vulnérables mené par les Réseaux canadiens de recherche en politiques publiques (RCRPP). Les chercheurs impliqués dans ce projet définissent ainsi les travailleurs vulnérables

Ceux dont la participation au marché du travail met en jeu leur bien-être, parce qu’ils ont de la difficulté à trouver du travail assez bien payé ou ayant des conditions correspondant aux normes sociales de base. Les travailleurs sont vulnérables en raison des circonstances qu’ils vivent (un mauvais accès aux avantages, aux normes minimales, au soutien social, à la représentation syndicale et aux possibilités de formation) et non pas parce qu’ils n’ont pas la capacité ou la volonté d’améliorer leur sort.

 [10]

Chaykowski énumère trois critères principaux de la vulnérabilité des travailleurs [11] :

  • La situation d’emploi (y compris le salaire et les avantages) ;
  • Le régime de travail (temps plein ou partiel, temporaire, etc.) ;
  • Le degré de protection en milieu de travail.

Ron Saunders complète cette définition dans un autre ouvrage, en décrivant quelques types de travailleurs touchés par cette vulnérabilité [12] :

  • Les travailleurs adultes dont la rémunération est très faible pendant de longue période de temps, en raison de faibles revenus ou d’emplois instables ou à temps partiel ;
  • Des travailleurs non couverts par les normes du travail ; • Les travailleurs qui, en pratique, ont de la difficulté à se prévaloir de leurs droits statutaires ;
  • Les travailleurs qui n’arrivent pas à se qualifier pour les programmes comme l’assurance-emploi ou qui ne profitent pas pleinement des régimes de retraite publics ;
  • Les travailleurs qui n’ont pas accès aux avantages sociaux comme l’assurance-maladie complémentaire, les soins dentaires, les régimes de retraire privés, etc. ;
  • Les travailleurs qui ont de la difficulté à trouver des logements ou des garderies abordables.

Ces notions de précarité d’emploi et de travailleurs vulnérables sont importantes ici car nous nous attardons surtout aux travailleurs atypiques vivant un déficit en termes de protection sur le marché du travail. Ces déficits sont souvent la cause ou la conséquence d’une situation d’emploi précaire et impliquent, plus largement, une vulnérabilité du travailleur.

b. Les formes de travail atypique

Le Rapport Bernier qualifie donc quatre formes d’emploi au travail atypique. Nous les décrivons ici brièvement.

L’emploi à temps partiel

Le travail est généralement considéré « à temps partiel » à partir d’une norme objective. Au Canada, depuis 1996, Statistique Canada considère à temps partiel tout employé travaillant moins de 30 heures par semaine dans son emploi principal [13]. Aux Etats-Unis, au Mexique ou au Japon, c’est moins de 35 heures par semaine. On peut aussi établir cette classification d’un point de vue subjectif. Dans ce cas, le travailleur à temps partiel sera celui qui œuvre moins d’heures par semaine ou par mois que les travailleurs « ayant le même type d’emploi dans une même entreprise » (Bernier, Vallée et Jobin, 2003a, p. 33). En Italie, le travailleur à temps partiel œuvre moins d’heures que ce qui est normalement prévu pour son type d’emploi, alors que dans certains autres pays d’Europe (France, Allemagne, Royaume-Uni), c’est le travailleur lui- même qui décide s’il se considère à temps plein ou partiel [14]. Ce type d’emploi peut être permanent, temporaire ou sur appel.

Chaykowski [15] explique la croissance de l’emploi à temps partiel par l’offre (l’employeur veut profiter d’avantages liées à cette forme d’emploi, comme l’adéquation des heures de travail avec les périodes de production intensive, moins d’avantages sociaux à payer aux employés, coûts fixes moins élevés, etc.) et la demande (conciliation travail-famille, conciliation travail-formation, etc.). Cela met en évidence que le travail à temps partiel peut être volontaire, ou involontaire, c’est-à-dire que certains préféreraient occuper un poste à temps plein. Nous y reviendrons, mais notons immédiatement que le travail à temps partiel est plus fréquent chez les femmes que chez les hommes et qu’elles ont tendance à y rester plus longtemps et à y être moins bien rémunéré.

L’emploi temporaire

Cette forme d’emploi a une définition moins précise, laquelle varie beaucoup selon le pays. Au Canada, elle se rapporte aux travailleurs dont le contrat a une durée déterminée. Le Rapport Bernier conserve cette définition de Statistique Canada, laquelle y place les emplois saisonniers, les emplois temporaires d’une durée déterminée ou à forfait et les emplois sur appel ou occasionnels. C’est généralement dans cette dernière catégorie que l’on retrouve les travailleurs fournis par une agence de placement temporaire.

Dans d’autres pays, la définition de travail temporaire est plus large ou plus restrictive, selon le cas :

Aux Etats-Unis, les travailleurs qui n’ont pas de contrat implicite ou explicite d’emploi permanent sont désignés comme temporaires. Au Japon, il s’agit des salariés qui ont un contrat d’une durée supérieure à un mois mais inférieure à un an. En France et au Royaume-Uni, l’emploi temporaire répond à de nombreuses caractéristiques. Il inclut l’emploi à durée déterminée, l’emploi saisonnier, la mission d’intérim, l’apprentissage, le stage, le travail occasionnel, etc. En Allemagne, il concerne l’emploi à durée déterminée, incluant les salariés en apprentissage. En Italie, il désigne les emplois temporaires comme ceux occupés par les personnes employées à l’essai. [16]

Le télétravail ou travail à domicile

Ce type de travail a pour principale originalité de ne pas se produire dans l’établissement de l’employeur. Le travail à domicile est effectué dans une résidence privée, par des personnes autres que des travailleurs indépendants, des aides familiales ou des travailleurs agricoles (Bernier, Vallée et Jobin, 2003a, p. 35). Le télétravail, rendu possible par le développement des technologies de l’information et des communications (TIC) rassemble trois composantes : délocalisation du travail, peu de communication personnelle avec des collègues et utilisation des TIC.

Travail autonome

Le Rapport Bernier (p. 36), retient la définition du travail autonome de Gilles Roy :

« Celui qui exerce une profession ou des activités commerciales seul ou avec d’autres, avec ou sans aide rémunérée. Il possède le libre choix des moyens d’exécution et d’organisation de son travail, fournit les outils et l’équipement requis, assume la majeure partie des tâches spécialisées et supporte les risques de profit et de perte découlant de son travail. Il peut exercer ces activités à son propre compte ou par le biais d’une société incorporée ».

Il est généralement admis qu’il existe trois types de travailleurs autonomes, soit le travailleur autonome dépendant, le travailleur autonome indépendant et le travailleur autonome employeur. Nous verrons plus loin que l’absence du concept de « travailleur autonome dépendant » dans le droit du travail au Québec précipite un grand nombre de travailleurs dans une zone grise, ce qui met en péril leur protection à bien des égards.

Encore une fois, cette définition varie selon les pays. Par exemple, l’Italie, l’Allemagne et le Mexique classent les propriétaires exploitants d’entreprises constituées en société dans les travailleurs autonomes, contrairement au Canada, à la France, au Japon ou aux Etats-Unis (Matte, Baldino et Courchesne, 1998, p. 30).

ii. Comprendre l’évolution du travail atypique

L’essor des nouvelles formes d’emploi constituant ce que nous entendons par « travail atypique » s’est amorcé dans les années 1970 et il a été très important jusqu’à la fin des années 1990, avant de se stabiliser. Il s’est produit simultanément dans un grand nombre des pays de l’OCDE. Si le marché du travail s’est relativement stabilisé depuis, les formes d’emploi atypiques (en particulier le travail à temps partiel et le travail temporaire), semblent là pour rester et continuent de croître de façon régulière. Que s’est-il donc passé pour que le travail traditionnel (à temps plein, permanent, sur horaire régulier, effectué pour un employeur et dans ses locaux) perde la faveur des employeurs et parfois même (quoique dans une moindre mesure) des travailleurs ?

a. À la source de la croissance du travail atypique

La plupart des auteurs s’entendent sur les causes principales de l’essor du travail atypique, sans nécessairement s’entendre sur l’importance à accorder à chacune. Il est clair, à tout le moins, que l’on doit plutôt observer l’effet conjugué de plusieurs facteurs, plutôt qu’un seul, afin de comprendre ce phénomène. Sans procéder à l’analyse exhaustive de chaque facteur, on cherche ici à offrir une vue d’ensemble afin de comprendre la dynamique qui a présidé à la croissance de ces nouvelles formes d’emploi.

Un survol de la littérature sur le sujet permet d’isoler six facteurs principaux : la mondialisation, l’évolution de la technologie, l’évolution de la démographie, les nouvelles stratégies d’entreprise, les nouvelles stratégies des ressources humaines et les politiques gouvernementales. Il va sans dire que ces facteurs sont concomitants plutôt qu’isolés. Ainsi la pression de la mondialisation a eu un impact important sur les nouvelles stratégies d’entreprise ou de gestion des ressources humaines, certaines de ces nouvelles stratégies n’étant devenues viables que par l’apparition de nouvelles technologies (ex. : la croissance du télétravail).

En ce qui concerne le travail atypique, il semble que le passage à l’économie de services et la recherche de la flexibilité soient les deux facteurs ayant le plus d’impact. Dans le premier cas, la mondialisation a eu pour effet de rendre certains types d’entreprises plus attrayantes et d’autres beaucoup moins. En Occident, ce phénomène a débouché sur un essor sans précédent de l’industrie des services. Or, par sa nature même, cette industrie a tendance à faire une large place aux bas salaires et aux formes de travail atypiques. Elle occupe souvent des travailleurs peu spécialisés, souvent jeunes et plus souvent de sexe féminin que masculin.
La flexibilité, quant à elle, est l’élément dominant des transformations du marché du travail qui nous occupent ici. Théoriquement, la flexibilité peut jouer autant dans le sens de l’employeur que du travailleur. On observe ainsi qu’un certain nombre de travailleurs apprécient une très grande flexibilité dans la forme d’emploi, notamment en ce qui concerne le nombre d’heure, le lieu de travail et la durée de l’emploi. Cela découle souvent de la volonté d’articuler le travail avec un autre projet (étude, entrepreneuriat, etc.) ou avec les obligations familiales. Toutefois, , les travailleurs touchés par cette flexibilité le sont, trop souvent, contre leur gré : « Pour bien d’autres personnes, les régimes de travail atypique sont involontaires et insuffisants pour répondre à leurs besoins. Ces personnes ne peuvent tout simplement pas trouver de travail rémunéré à plein temps. Celles qui acceptent un travail atypique parce qu’il n’y a pas d’autres possibilités d’emploi subissent souvent une perte de revenu » (Stephenson et Emery, 2003, p. 26).

Le CPJ décrit deux types principaux de flexibilité [17] :

  • Flexibilité interne : la capacité d’une organisation de fonctionner différemment, de s’adapter aux changements économiques sans faire porter le poids de cette adaptation aux travailleurs ;
  • Flexibilité externe : la capacité d’agir sur les coûts, le temps de travail et les statuts d’emploi.

La recherche de flexibilité externe, celle qui a un impact sur la croissance du travail atypique, présente donc trois aspects principaux :

  • Les coûts : généralement réduire la masse salariale (moins d’effectif, salaire moins élevés, moins d’avantages sociaux, clauses orphelines) ;
  • Le temps de travail : fracturer le temps de travail pour le faire coïncider avec la production, semaines irrégulières, travail temporaire, etc. ;
  • De nouvelles formes d’emploi : agit surtout sur la durée et le lien d’emploi par l’utilisation accrue du temps partiel, du contrat temporaire, du travail occasionnel ou saisonnier et de la sous-traitance.

Plus précisément, le Rapport Bernier identifie cinq types de flexibilité qui ont un impact sur les formes d’emploi en agissant sur la gestion de la production et des ressources humaines, en favorisant la sous-traitance, en diminuant le volume de main-d’œuvre des entreprises et en augmentant le recours aux employés à temps partiel et la transformation de salariés en travailleurs autonomes [18].

Tableau A.1 : Cinq types de flexibilité ayant un impact sur la nature du travail (Rapport Bernier)

b. Les impacts de la croissance du travail atypique

On s’en doute, ces modifications des formes d’emploi ne sont pas sans conséquence pour les travailleurs. L’une des plus importantes est probablement de scinder le marché du travail en deux, avec d’un côté des « bons emplois » et de l’autre des « mauvais emplois » (Chaykowski, 2005, p. 1). Cela provient de ce que le Rapport Bernier (p. 37) qualifiait de « dualité du marché du travail », c’est-à-dire qu’il est possible que certaines entreprises se contentent d’un noyau dur d’employés permanents à temps plein, spécialisés et expérimentés et utilisent une main- d’œuvre à temps partiel, temporaire ou fournis par une agence de placement temporaire lorsqu’un besoin immédiat surgit. Même à l’intérieur du noyau dur, des différences de traitement se font plus fréquentes.

La recherche de flexibilité n’a pas seulement pour effet de faire régresser l’emploi typique. Des études avancent qu’elle fait reposer une plus grande part du risque sur les épaules de l’ensemble des travailleurs, plutôt que de l’employeur. « Les employeurs, face aux pressions de la concurrence mondiale (et avec la possibilité de faire fabriquer leurs produits ailleurs) font porter le risque aux employés puisqu’une plus grande part du travail que par le passé est temporaire, à temps partiel ou envoyée à l’extérieur, et que les exigences envers bon nombre d’employés réguliers sont plus fortes » (Saunders, 2006, p. 2).

Plus précisément, le Rapport Bernier scinde les impacts de l’essor du travail atypique en trois sphères : la société, l’entreprise et le travailleur.
Impacts sociaux

Son premier effet sur la société est une conséquence de la précarisation qu’entraîne un plus grand recours au travail à temps partiel et temporaire. Ce recours tend à placer une part plus importante de la population active hors du champ du droit du travail. Nous reviendrons en détail sur ces questions dans le troisième chapitre de cet avis (C). Notons pour l’instant que cette précarisation, à laquelle s’ajoutent très souvent de plus faibles revenus, a pour effet de reporter les risques non seulement sur les travailleurs, mais sur l’ensemble de la société. L’augmentation du nombre de bénéficiaires des programmes d’assistance publics qu’entraîne l’érosion des conditions de travail et l’absence de protection adéquate pour une partie importante de la population active fait peser une pression menaçante sur ces programmes (Bernier, Vallée et Jobin, 2003a, p. 38). Cela est d’autant plus grave que les gouvernements ont tendance, lorsque la pression devient trop forte, à durcir les critères d’accès à ces programmes ou à en diminuer les protections. C’est ce qu’affirment les chercheurs des RCRPP : « les gouvernements, dans le but de diminuer ou d’éliminer les déficits financiers, rejettent le risque sur les particuliers en diminuant les services offerts en matière de soutien social » (Saunders, 2006, p. 2).
Comme autres conséquences sociales, le Rapport Bernier (p. 39) cite l’accroissement de l’écart entre les hommes et les femmes et l’exacerbation des conflits intergénérationnels, les femmes et les jeunes étant plus touchés par l’accroissement du travail atypique et la dégradation des conditions de travail.
Impacts sur l’entreprise
Le Rapport Bernier signale au passage que le recours au travail atypique dans une grande proportion n’a pas que des effets positifs sur l’entreprise. Les travailleurs risquent d’éprouver peu d’attachement et de faire montre de peu de loyauté envers l’entreprise, ce qui peut entraîner une instabilité contre-productive. L’insécurité ressentie par le travailleur risque aussi de le démotiver.

Le Conseil du statut de la femme fait remarquer que :

Bénéfique à court terme, le recours à du personnel atypique peut toutefois compromettre à plus long terme les capacités d’adaptation, d’innovation et de concurrence des entreprises. Comment une entreprise peut-elle, à la fois, exiger des qualités de compétence technique et de motivation de son personnel lorsqu’il est instable et souvent précaire et maintenir – voire améliorer – sa productivité et sa situation concurrentielle. Plusieurs observatrices et observateurs sont d’avis que la stabilité d’emploi et les investissements dans la formation du personnel comptent parmi les facteurs de succès les plus importants pour progresser. [19]

Impact sur les travailleurs

Les impacts sur les travailleurs touchent surtout les plus vulnérables (les jeunes, les femmes, les moins scolarisés et les immigrants). Ainsi, les travailleurs, tout en devant se montrer plus polyvalents et plus qualifiés, ont accès à moins de protection et ont des difficultés à se faire représenter, l’accès à la syndicalisation ne leur étant pas toujours assuré et le travail des syndicats se trouvant compliqué par la nouvelle conjoncture. La pauvreté et l’insécurité liées aux bas revenus et à la durée indéterminée (souvent courte) de l’emploi sont un autre impact auquel il faut s’attarder. Selon Saunders, la mondialisation a entraîné : « une diminution des différences de salaire entre les pays pour du travail exigeant les mêmes compétences, mais a (ainsi que le changement technologique) creusé l’écart salarial entre les emplois moins spécialisés et plus spécialisés dans les pays riches » (Saunders, 2006, p. 9). Les données de l’OCDE semblent confirmer cette assertion :

La dispersion des salaires a par exemple augmenté de façon régulière depuis les années 80 au Royaume-Uni, où leur formation s’est considérablement décentralisée en même temps qu’elle était de plus en plus soumise à la loi du marché. De même, la dispersion des salaires s’est beaucoup accrue au cours de la même période aux Etats-Unis, même si elle partait d’un niveau déjà élevé, ainsi que plus récemment (à partir d’un niveau initial plus bas) dans les économies d’Europe centrale. Les disparités de gains ont aussi eu tendance à se creuser en Australie, en Nouvelle-Zélande et aux Pays-Bas. [20]

Dans ses Perspectives de l’emploi 2006, l’OCDE confirme que l’inégalité des revenus bruts s’est accentuée fortement entre 1994 et 2003 [21] et qu’il y a eu « une augmentation persistante de la proportion de travailleurs pauvres dans l’ensemble de la population après 1994 » (OCDE, 2006, p. 42). Au Canada, selon Chaykowski, 34 p. cent des employés avaient, en 2000, un revenu inférieur au seuil de faible revenu (SFR). En moyenne, les revenus de ces individus se situaient à 18 p. cent sous le SFR. Les travailleurs atypiques étaient plus fréquemment touchés par cette réalité. Les travailleurs indépendants à temps plein avaient de faibles revenus dans une proportion de 42 p. cent, comparativement à 11 p. cent pour les employés à temps plein. Les travailleurs à temps partiel avaient, eux aussi, de plus faibles revenus [22]. De plus, ce segment vulnérable de la population active est en augmentation (Chaykowski, 2005, p. 2).

Tableau A.2 : Le sentiment d’insécurité dans les pays de l‘OCDE, 1997 [23]

Par ailleurs, l’insécurité liée à la précarisation des emplois est ressentie par l’ensemble des populations actives des pays de l’OCDE. On observe que l’insécurité touche 80 p. cent des travailleurs canadiens, soit un total plus élevé que la moyenne de l’OCDE. Cette insécurité frappe particulièrement les femmes, qui se situent sept points au-dessus de la moyenne des femmes de l’OCDE sur cette question. Par ailleurs, on voit bien l’impact de la « flexisécurité » sur les travailleurs du Danemark, dont moins de la moitié serait en proie à l’insécurité.

Chez les jeunes, les impacts de l’accroissement du travail atypique et de la raréfaction des emplois traditionnels ont été bien identifiés par le Conseil permanent de la jeunesse. On peut en énumérer six principaux [24] :

  • La complexification et l’allongement de l’insertion professionnelle (les taux d’obtention d’un emploi permanent par les détenteurs d’un baccalauréat ont chuté de 75,2 % à 50,5 % entre 1982 et 1997) ;
  • La difficulté à rembourser les dettes d’études (qui augmentent) en raison de la difficulté à trouver un emploi permanent et bien payé ;
  • Le recul général des revenus des jeunes (qui s’explique grandement par le recul des taux horaires payés aux jeunes) ;
  • L’augmentation de la pauvreté (entre 1990 et 1994, le taux de pauvreté est passé de 27,6 p. cent à 41 p. cent chez les jeunes de moins de 30 ans) ;
  • La difficulté d’accès au logement ;
  • Le retard ou l’abandon du projet familial.

Pour ce qui est des femmes, leur présence plus marquée dans des formes d’emploi atypique comme le travail à temps partiel et le travail à domicile implique qu’elles sont plus touchées par les problèmes liés à ces formes d’emploi. Ces difficultés sont accrues du fait que nombre d’entre elles assument, seules ou avec un conjoint, des responsabilités familiales pouvant compliquer leur insertion dans un emploi plus stable ou permanent. Nous verrons plus loin que les statistiques montrent que les hommes ont surtout tendance à travailler dans des emplois atypiques lorsqu’ils sont jeunes, alors que les femmes y restent plus longtemps, voire pour toujours dans un certain nombre de cas. Le Conseil du statut de la femme s’inquiète aussi des répercussions de l’essor du travail atypique sur l’efficacité des mécanismes visant l’équité en emploi (lois sur équité salariale et programmes d’accès à l’égalité) : « ces mécanismes trouvent leur application maximale dans un contexte de salariat. Sera-t-il possible de les ajuster à une main-d’œuvre de plus en plus formée de personnes qui sont seulement de passage dans l’entreprise ? » (Desroschers, 2000a, p. 200).

c. Agir sur le travail atypique

Bien qu’il soit difficile de juguler l’essor du travail atypique, il n’est pas impossible d’agir sur les conditions dans lesquelles il se déroule ou d’en contrôler en partie la croissance. Le gouvernement aurait, à cet égard, un rôle essentiel à jouer. Dans cette optique, le mot d’ordre si souvent entendu « il faut s’adapter à l’inévitable mondialisation » ne signifie pas qu’il faille endurer passivement ses aspects les plus cruels. Au contraire, la mondialisation exige des gouvernements qu’ils donnent le meilleur d’eux-mêmes dans l’élaboration de politiques imaginatives permettant de palier aux problèmes découlant de la mondialisation et des nouveaux choix de gestion d’entreprise et de ressources humaines. Nous rejoignons en cela le Conseil du statut de la femme, lequel affirmait dans un avis adopté en 2000 : « La mondialisation résulte en bonne partie de choix politiques et économiques ; or, d’autres choix qui tiennent compte de l’équité et de la justice sociales sont possibles » (Desrochers, 2000b, p. 19). Par exemple, on ne peut affirmer que la pression de la mondialisation se traduit automatiquement et de manière obligatoire par le même type de changement dans la gestion de toutes les entreprises. Le lien entre la mondialisation et l’essor du travail atypique relève pour une part importante des choix effectués par l’entreprise.

Selon Diane-Gabrielle Tremblay, l’un des effets les plus importants de la mondialisation a été de placer les entreprises, en particulier celles du secteur manufacturier, devant une alternative fondamentale : réagir de manière défensive ou offensive à cette nouvelle pression. La stratégie défensive consistera à agir surtout sur l’organisation et les coûts de la production, en délocalisant les centres de production ou en y imposant une flexibilité maximale. La stratégie offensive cherchera plutôt à distinguer le produit de l’entreprise sur le marché, en misant sur la qualité, l’innovation et la valeur ajoutée. Saunders confirme : « même si la mondialisation réduit les choix, elle n’élimine pas la liberté de l’employeur ou du gouvernement. Les employeurs ont réagi de diverses façons aux pressions et certains ont choisi de se concentrer sur un rendement élevé plutôt que de diminuer les salaires ou avantages » (Saunders, 2006, p. 14).

De la même manière, la gestion des ressources humaines relève des choix d’une entreprise : « si l’on comparait, par exemple, deux entreprises d’un même secteur économique, utilisant des systèmes de production identiques, produisant des produits semblables, mais ayant adopté des approches de gestion totalement différentes, on constaterait que ces entreprises ont des environnements de travail forts différents et ce, sur la seule base de leur structure organisationnelle » (Tremblay, 2003a, p. 21). Les travaux de l’OCDE ont permis de voir que les entreprises des différents pays ont tendance à agir différemment par rapport aux recherches de flexibilité et aux choix de gestion des ressources humaines.

Il est important que comprendre que ces choix ne sont pas complètement libres. Ils sont dictés, en grande partie, par la réglementation du marché du travail imposée par l’État. Dans les États anglo-saxons, les entreprises miseraient surtout sur la flexibilité externe (rendue possible par une réglementation très souple du marché du travail), malgré une certaine progression de la formation et de la décentralisation des prises de décision. Il est intéressant de relier cette observation avec le constat du Rapport Bernier (chapitre 4) sur la prise en compte du travail atypique dans les législations du travail au Canada (hors Québec), aux Etats-Unis et au Mexique. Dans ces pays, le droit du travail ne tient pas encore fréquemment compte du travail atypique. En règle générale, les travailleurs sont considérés comme ayant droit aux mêmes protections que les autres, sur la base d’un contrat de travail liant un salarié (typique ou atypique) à un employeur. Certaines dispositions sont parfois ajoutées pour corriger des problèmes d’exclusion, alors que d’autres situations d’exclusion continuent d’exister. Comme il n’y a pas de normes communes entre les trois pays, cela se fait au gré des décisions des provinces ou des États. Les travailleurs indépendants sont généralement exclus de ces protections. Ce qui est souligné dans le Rapport Bernier : « force est de constater qu’une revue des principales dispositions législatives en vigueur en Amérique du Nord, aussi bien au Canada qu’aux Etats-Unis, conduit à la conclusion que les mesures de protection sociale des personnes en situation de travail non traditionnelle sont beaucoup moins développées qu’outre-Atlantique et qu’elles demeurent, le plus souvent, bien en retrait des normes proposées par l’O.I.T. » (Bernier, Vallée et Jobin, 2003a, p. 289).

Dans les États du nord de l’Europe (Scandinavie, Allemagne, France), la réglementation plus serrée du marché du travail (notamment en matière de protection de l’emploi) a comme effet de pousser les entreprises à viser un plus grand consensus dans leurs changements et à miser davantage sur la flexibilité interne [25]. Encore ici, le lien avec le Rapport Bernier (chapitre 5) éclaire la correspondance entre l’évolution de la législation et des régimes de protection et les actions des entreprises. L’Union européenne a adopté, depuis 1991, des dispositions précises sur « la santé et la sécurité du travail, le travail à temps partiel et les contrats à durée déterminée » (p. 288). Dans la foulée, plusieurs pays européens ont durci leur législation nationale afin de prendre en compte les nouvelles relations de travail.

On voit que les politiques de gestion de l’entreprise et des ressources humaines sont fortement influencées par les politiques gouvernementales de l’emploi, dont elles doivent tenir compte. Le gouvernement possède certains leviers monétaires ou fiscaux pour agir sur la gestion des ressources humaines et sur la création d’emplois elle-même.

Diane-Gabrielle Tremblay fait remarquer que dans les régions du Québec fortement touchée par le chômage, les systèmes de gestion des ressources humaines se développent souvent avec peu d’égard pour les travailleurs, favorisant souvent les bas salaires et les formes d’emploi atypique. À l’inverse, « en présence d’un marché du travail serré et équilibré où le chômage est faible, les entreprises augmenteront les salaires et les avantages sociaux, comme ce fut longtemps le cas en Suède. Elles développeront de meilleures relations et conditions de travail pour attirer les travailleurs et pour les garder » (Tremblay, 2003a, p. 21). L’État peut donc agir sur le travail atypique par ces leviers. Il peut aussi agir sur les travailleurs, notamment en leur offrant de meilleures perspectives de formation professionnelle. Dans cette optique, il peut être intéressant d’observer l’approche d’Emploi-Québec en ce qui concerne le travail atypique, qu’il qualifie de sous-emploi.

iii. Emploi-Québec et le travail atypique

a. Définition du sous-emploi et orientations générales

On l’a vu plus haut, Emploi-Québec intègre le travail atypique dans un concept plus large : le sous-emploi. Voici la définition complète du sous-emploi que retient Emploi-Québec :

Le sous-emploi prend différentes formes (emploi à temps partiel ou saisonnier, surqualification, etc.) et peut correspondre à l’une ou l’autre des situations décrites ci- dessous :

  • La personne occupe un emploi qui comporte une durée de travail plus courte que ce qu’elle souhaite, soit elle dispose d’un emploi à temps réduit ou encore elle connaît des périodes fréquentes de chômage. Cette situation revêt un caractère involontaire et chronique en ce sens que : o La personne est disponible pour occuper un emploi comportant une durée plus longue ; o La personne a fait des efforts pendant une période suffisante pour chercher un autre emploi, compte tenu de la profession et des conditions du marché du travail de la région ; o La personne a besoin d’acquérir des compétences additionnelles afin de lui permettre d’occuper un emploi en demande comportant une durée de travail plus longue.
  • La personne occupe un emploi qui exige un niveau de scolarité inférieur à celui qu’elle détient, compte tenu de son bagage de formation professionnelle, technique ou universitaire. Cette situation revêt aussi un caractère involontaire et chronique en ce sens que :

o La personne a fait des efforts pendant une période suffisante pour chercher un autre emploi, compte tenu de la profession et des conditions du marché du travail de la région ;
o La personne est apte à occuper l’emploi convoité à court terme et elle n’a besoin que d’une formation additionnelle de mise à niveau de courte durée dans son domaine de formation ;
o L’emploi convoité est un emploi en demande et qui présente donc de bonnes perspectives d’emploi.

Cette définition très large du sous-emploi complique l’analyse des services d’Emploi-Québec offerts aux travailleurs atypiques. Ces complications augmentent encore en raison de l’absence totale de données de gestion sur le sous-emploi à Emploi-Québec. Le sous-emploi n’est en effet pas un indicateur retenu par Emploi-Québec dans ses rapports statistiques. Les clients d’Emploi-Québec sont plutôt classés en fonction de leur statut par rapport à l’assistance-emploi ou à l’assurance-emploi. S’il y a eu des évaluations des mesures différenciées par sexe, par groupes d’âge ou par degrés de scolarisation, aucune n’est d’une grande utilité quand vient le temps d’étudier l’impact des services et des mesures d’Emploi-Québec auprès des travailleurs atypiques ou en sous-emploi.

Toutefois, Emploi-Québec aborde le sous-emploi dans certains documents. Dans son Plan d’action 2005-2006, Emploi-Québec déplore notamment que le sous-emploi coexiste avec « un nombre significatif de postes vacants et des difficultés pour les entreprises à pourvoir ces postes » (Emploi-Québec, 2005, p. 4). Il s’agit de voir comment Emploi-Québec s’y prend pour remédier à ce problème.

b. Offre de service d’Emploi-Québec pour les personnes en emploi [26]

Pour l’instant, Emploi-Québec ne semble pas offrir de services destinés spécifiquement aux travailleurs en sous-emploi ou à ceux que nous observons ici, soit les travailleurs atypiques. Cela ne signifie nullement que les travailleurs atypiques ne peuvent accéder aux mesures actives d’Emploi-Québec, mais plutôt qu’ils n’y ont pas un accès spécifique. Ils peuvent obtenir un soutien en tant que personne en emploi, s’ils répondent à certains critères, notamment ceux du sous-emploi. Cela tient à l’approche individualisée d’Emploi-Québec – que nous ne critiquons nullement ici – laquelle fonctionne sur le principe de l’évaluation des besoins du « client ». La personne en sous-emploi peut bénéficier d’une entrevue d’évaluation et d’aide à l’emploi, pendant laquelle l’agent d’Emploi-Québec doit déterminer, avec la personne en sous-emploi, s’il est plus approprié de mettre en œuvre des services d’aide au placement ou des mesures d’amélioration de l’employabilité. Elle peut aussi se prévaloir des services universellement accessibles d’Emploi-Québec, comme les services d’aide à l’emploi (SAE) ou de placement, et ce en mode libre-service ou assisté.

Suite au processus d’évaluation des besoins, une personne jugée en sous-emploi peut s’engager dans une démarche de réorientation professionnelle. Elle peut alors se voir accorder l’accès à une mesure active de formation d’Emploi-Québec, soit les Services d’aide à l’emploi (orientation) et la Mesure de formation de la main-d’œuvre (MFOR). Dans certains cas, il est même possible d’autoriser cette personne à quitter son emploi et à accéder au Soutien du revenu pendant une période de formation, afin de l’aider à améliorer son sort sur le marché du travail. Certains critères peuvent s’appliquer. Par exemple, une demande faite pour une formation visant un secteur d’emploi avec de bonnes perspectives d’emploi sera plus facilement acceptée qu’une autre visant un secteur d’emploi saturé. Il est aussi possible d’offrir aux personnes en sous-emploi un accès au Programme d’apprentissage en milieu de travail (PAMT). Il s’agit alors de former les personnes en les gardant en emploi. Dans la même veine, la personne peut participer à des activités de formation continue ou d’une formation offerte par leur entreprise dans le cadre de la mesure MFOR.

Tableau A.3 : Mesures offertes par Emploi-Québec aux personnes en situation de sous- emploi

On voit donc que les interventions auprès des personnes en situation de sous-emploi se font souvent sous l’angle de la formation. Il nous semble toutefois que plusieurs de ces personnes bénéficieraient de périodes de formation beaucoup plus longues visant une amélioration de leur formation de base. Dans les orientations stratégiques de la Commission des partenaires du marché du travail 2007-2008 on vise à « soutenir les personnes à risque de sous-emploi, notamment celles à risque d’exclusion et de pauvreté ». Cette orientation fait un lien direct entre le sous-emploi et le niveau de formation de base des personnes sous-scolarisées. Le Plan d’action 2006-2007 d’Emploi-Québec fait le même lien, reconnaissant que le risque de sous- emploi : « est avant tout déterminé par la scolarité et la qualification professionnelle des personnes » (Emploi-Québec, 2006, p. 17).

On semble donc être conscient du fait que le confinement au sous-emploi implique souvent la nécessité d’un travail à plus long terme auprès d’un individu. Une étude récente démontrait, à partir des données de l’Enquête internationale sur l’alphabétisation et les compétences des adultes (EIACA), que « sans un niveau adéquat, les effets de la formation liée à l’emploi sont, au mieux, limités » (Venne, 2006, p. 90). L’EIACA démontrait aussi qu’au Québec, les personnes faiblement scolarisées avaient difficilement accès aux formations liées à l’emploi et participaient fort peu aux programmes d’éducation des adultes. Elles avaient donc peu d’opportunités d’améliorer leur formation de base et, partant, d’améliorer leur perspective d’emploi à long terme.

Cela implique, à notre sens, que les personnes en situation de sous-emploi en raison de lacunes sur le plan de leur formation de base devraient se voir offrir un bouquet de services leur permettant d’améliorer nettement cette dernière, afin d’améliorer leurs chances d’intégrer, à moyen terme, un emploi stable. Or, comme on vient de le voir, Emploi-Québec semble pour l’instant privilégier les mesures de formation de courte durée comme les MFOR ou le PAMT. Des services de formation à court terme liés à l’emploi et visant une réinsertion rapide en emploi risquent, au contraire, de maintenir la personne en sous-emploi. On pourrait alors voir celle-ci alterner entre des périodes de travail précaire et des périodes d’assistance-emploi, ce qui n’est à l’avantage de personne. La CPMT souhaite s’assurer d’un « meilleur accompagnement des personnes plus vulnérables sur le plan de l’emploi participant à leurs activités de formation de manière à en réduire le taux d’échec et d’abandon » (CPMT, 2007, p 5). Il apparaît que ces formations auront plus de chance de succès si elles prennent en compte le vécu de la personne et le besoin fréquent de formes d’apprentissage différentes (souvent mises de l’avant par des groupes communautaires), et si elles se donnent comme objectifs l’amélioration générale de la formation de base.

B. LE TRAVAIL ATYPIQUE AU QUÉBEC

Cette section présente un portrait du travail atypique au Québec à partir de données essentiellement quantitatives. Il s’agit d’illustrer l’essor du travail atypique au Québec (i), les catégories de populations les plus touchées et les impacts sur ses conditions de travail (ii) ainsi que d’éventuelles disparités régionales (iii).

i. L’essor du travail atypique au Québec

Jetons tout d’abord un œil sur l’essor du travail atypique au Québec en général, c’est-à-dire la croissance du travail à temps partiel, temporaire, autonome et à domicile. Nous éviterons dans un premier temps de ventiler par groupe d’âge ou par sexe, afin de donner un bref aperçu de la situation dans son ensemble. Notons immédiatement que l’essor du travail atypique se produit surtout entre le milieu des années 1970 et la fin des années 1990. Après cette date, la situation a tendance à se stabiliser, la croissance du travail typique dépassant même légèrement celle du travail atypique certaines années.

Ainsi, entre 1976 et 1995, la part de l’emploi salarié (temps plein et partiel) dans l’emploi total a décliné au Québec, passant de 91 à 85,7 p.cent. Toutes les formes non traditionnelles d’emplois ont augmenté leur part dans l’emploi total, alors que l’emploi à plein temps a décliné de 12,6 p. cent. En fait, « cette forme d’emploi a crû quatre fois moins que l’emploi total et, par rapport aux formes atypiques, cet écart prend des proportions encore plus grandes » (Matte, Baldino et Courchesne, 1998, p. 22).

Graphique B.1 : Variation de la part des formes d’emplois dans l’emploi total de 1976 à 1995 au Québec

Toutes les formes d’emploi atypiques ont donc progressé pendant cette période. Le travail à temps partiel est passé de 7,8 à 14,9 p. cent, la forme involontaire étant celle qui a le plus progressé (+ 524,2 % contre 50,9 % pour le travail à temps partiel volontaire). L’emploi autonome a augmenté de 100,7 p. cent, soit une progression tout de même quatre fois plus élevée que pour l’emploi total.

Graphique B.2 : Croissance des formes d’emploi au Québec entre 1976 et 1995

Le tableau B.1 nous apprend tout d’abord que, par rapport au Canada, le travail à temps partiel a augmenté de manière plus significative au Québec, entre 1976 et 2003, alors que le travail autonome aurait connu le même niveau de croissance. Le travail à temps partiel occupe maintenant une proportion de travailleurs similaire à la moyenne canadienne (18,1 % contre 18,4 %), alors qu’il y avait une différence de près de 4 p. cent en 1976. Cela indique surtout un recul important des emplois à temps plein, qui, en 2003, occupaient 9,4 p. cent moins de travailleurs qu’en 1976. Quant à l’augmentation de la proportion de travailleurs autonomes, elle concerne surtout les travailleurs autonomes à compte propre, c’est-à-dire ceux qui fonctionne sans aide rémunérée. Enfin, l’augmentation des emplois à temps partiel et autonomes a eu un impact sur le cumul d’emplois, lequel concerne 95 400 travailleurs de plus qu’en 1976.

Tableau B.1 : Répartition des travailleurs selon les formes d’emploi chez les 15-64 ans, Québec et Canada, 1976 et 2003

En 2003, plus de 75 p. cent des salariés étaient permanents et 64,3 % occupaient un emploi dit « typique », c’est-à-dire à la fois permanent et à temps plein. Plus de 11 p. cent des travailleurs étaient des employés temporaires. Les travailleurs autonomes représentaient plus de 12 p. cent de l’ensemble des travailleurs. On peut voir que 85,3 % des salariés permanents travaillaient à temps plein (emplois typiques) et 14,7 % à temps partiel (emplois atypiques). Du côté des 426 800 salariés temporaires, la proportion de temps partiel était plus élevée, à 40,1 %. Par ailleurs, près d’un quart des travailleurs autonomes à compte propre était à temps partiel, alors que la quasi-totalité des travailleurs autonomes employeurs oeuvrait à temps plein.

Tableau B.2 : Répartition des travailleurs de 15-64 ans selon les formes d’emploi mutuellement exclusives, Québec, 2003

L’emploi temporaire a progressé de 34,3 p. cent au Québec entre 1997 et 2006. C’est l’emploi temporaire à durée déterminée qui a connu la plus forte progression (52,7 %), suivi du travail saisonnier (29,4) et du travail occasionnel (8,5 %). Toutefois, la proportion de l’emploi temporaire dans l’emploi total a faiblement progressé pendant cette période, passant de 13,2 à 14,4 % [27]. Toujours pendant la même période, l’emploi permanent aurait augmenté de 19,9 p. cent [28]. Des travaux indiquent qu’en 1994, les trois quarts de ces travailleurs auraient préféré occuper un emploi permanent (Matte, Baldino et Courchesne, 1998, p. 75). Plus difficile à quantifier, la proportion de travailleurs à domicile se situerait aux environs de 4 p. cent de l’ensemble des travailleurs au Québec en 2003, dont 40 p. cent étaient des salariés non syndiqués et 7 p. cent des salariés syndiqués (Tremblay, 2003c, p. 7).

La situation s’est stabilisée depuis la fin des années 1990. Entre 1998 et 2006, le taux de présence de l’emploi atypique serait demeuré relativement le même, régressant très légèrement de 37 à 36,6 p. cent.

Par ailleurs, le travail atypique ne progresse pas de la même façon dans tous les types d’industrie. Il occupe une place particulièrement importante dans l’industrie des services. Or, entre 1976 et 2004, les emplois dans les industries productrices de services ont augmenté de 63,5 p. cent au Québec, comparativement à 5,2 p. cent dans les industries productrices de biens. En fait, 95,8 p. cent des emplois créés pendant cette période se retrouvent dans ce secteur. 23 p. cent des employés de l’industrie des services étaient à temps partiel en 2004 et on y recensait 14 p. cent de travailleurs indépendants, contre 4,7 p. cent d’employé à temps partiel et 11 p. cent d’indépendants dans l’industrie des biens. Pour ce qui est des emplois temporaires, l’industrie des services en comptait 14,8 p. cent, contre 10,3 p. cent pour l’industrie des biens [29].

Le tableau suivant permet de constater une fréquence plus importante du travail temporaire dans les six secteurs suivants : secteur Primaire ; Construction ; Services d’entretien ; bâtiment et autres services ; Enseignement et Information, culture et loisirs. Toutefois, on constate que, par rapport à l’emploi total, les plus grandes proportions d’employés temporaires se retrouvent dans l’Enseignement, le Commerce et dans le secteur Soins de santé et assistance sociale.

Tableau B.3 : Effectif, fréquence et répartition des travailleurs permanents et temporaires selon le secteur d’appartenance et le secteur d’activités, ensemble des employés, Québec, 2004

Quant aux travailleurs à temps partiel, le tableau suivant permet d’observer leur répartition dans différents secteurs en 2006. Le secteur de l’Hébergement et des services de restauration se retrouve très loin devant les autres, avec 41,9 p. cent de ses employés qui sont à temps partiel. Les Administrations publiques, les Services professionnels, scientifiques et techniques, le Transport et l’entreposage et les services de Finance, assurance, immobilier et location sont des secteurs présentant sensiblement moins de travailleurs à temps partiel que la moyenne de l’industrie des services.

Tableau B.4 : Taux de présence de l’emploi à temps partiel par secteurs d’activités, Québec, 2006

ii. Les personnes vivant le travail atypique au Québec

Le travail atypique ne touche pas tous les groupes de la population de façon égale. Généralement, les groupes considérés plus vulnérables sont davantage affectés par les transformations du marché du travail, le travail atypique risquant pour eux de devenir un piège à long terme, plutôt qu’un état de transition : « dix-huit mois après le début de leur emploi, environ 40 pour cent des travailleurs à temps partiel involontaires avaient toujours un poste à temps partiel, étaient parfois sans emploi et avaient de la difficulté à rester sur le marché du travail » (Saunders, 2006, p. 12).

Nous concentrerons ici notre attention sur deux groupes en particulier, soit les jeunes et les femmes. Ce que nous souhaitons mesurer c’est, d’une part, l’essor du travail atypique dans ces groupes de population et, d’autre part, la répartition des formes d’emploi atypiques (notamment entre le travail atypique involontaire, le travail autonome et le travail temporaire). Nous jetterons aussi un regard sur les conséquences en termes de rémunération et de cumul d’emplois. À l’occasion, les données sur l’âge et le sexe seront présentées en même temps, afin de souligner des effets cumulatifs.

a. Les jeunes

Lorsque l’on observe le rapport des jeunes au travail atypique, le facteur des études est un incontournable. Plus les étudiants sont âgés, plus ils sont susceptibles d’occuper un emploi et plus ils sont susceptibles d’étudier à temps partiel. En 2006, 96,3 p. cent des étudiants étaient inscrits à temps plein et 32,4 p. cent d’entre eux occupaient un emploi à temps partiel, contre 1,7 p. cent à temps plein. Chez les 20-24 ans (dont plus de 86 p. cent étaient inscrits à temps plein) 46 p. cent avaient un emploi à temps partiel et 10 p. cent travaillaient à temps plein. Enfin, 63 p. cent d’étudiants de 25-29 ans étaient inscrits à temps partiel. Ils étaient donc plus nombreux à travailler à temps plein (32,6 %) et moins nombreux à le faire à temps partiel (25,1 %). Notons aussi que les étudiantes ont toujours été plus nombreuses à occuper des emplois à temps partiel que leurs homologues masculins. En 2006, elles étaient 39 p. cent à le faire, contre 35 p. cent pour les étudiants. [30]

On ne peut pas dire que le facteur « études » explique à lui seul la croissance de l’emploi atypique chez les jeunes. Toutefois, cette distinction permet généralement de comparer de façon plus réaliste les proportions de travailleurs atypiques de ce groupe d’âge avec celles de l’ensemble des Québécois. Ainsi, en 2003, 35,1 p. cent des jeunes qui n’étaient pas des étudiants occupaient tout de même un emploi atypique, dont 21,3 p. cent à temps partiel et 13,9 p. cent à temps complet. Les étudiants, quant à eux, occupaient presque tous un emploi atypique (96,4 %).

Tableau B.5 : Répartition des travailleurs de 15-24 ans pendant l’année scolaire selon la nature du contrat de travail et la fréquentation scolaire à temps plein, Québec, 2003

Temps partiel

Le tableau B.6 montre l’importance du travail à temps partiel chez les jeunes de 15-24 ans et chez les femmes entre janvier et mars 2007.

Tableau B.6 : Emploi, temps plein et temps partiel, selon le sexe et l’âge, Québec

Pendant cette période, près de 65 p. cent des travailleurs à temps partiel étaient en fait des travailleuses, alors que les femmes représentent 48,1 p. cent de l’ensemble de la main-d’œuvre. C’est donc dire qu’un peu plus de 27 p. cent des femmes oeuvraient à temps partiel, contre un peu plus de 13 p. cent des hommes. Par ailleurs, près de quarante p. cent des travailleurs à temps partiel étaient âgés de moins de 25 ans, un groupe qui ne représente que 13 p. cent des travailleurs.

Si la situation s’est relativement stabilisée ces dernières années, il a en été fort différemment pour la période comprise entre 1976 et 1999. Pendant ces années, la proportion de l’emploi à temps partiel chez les jeunes Québécois de 15 à 29 ans a presque triplé, alors que celle des Québécois de 30 ans et plus n’a pas tout à fait doublé. Les 20-24 ans ont été les plus touchés, la proportion des employés à temps partiel étant quatre fois plus élevée en 1999 qu’en 1976. Il y avait en fait 334 800 emplois à temps plein de moins pour les 15-29 ans en 1999 par rapport à 1976, alors qu’il y en avait 807 000 de plus pour les 30 ans et plus. Il faut toutefois tenir compte du fait que la population active des 15-29 ans a diminué de 228 100 personnes pendant cette période, alors qu’elle a augmenté de 1 139 000 chez les plus de trente ans. Les emplois à temps partiel avaient augmenté de 135 900 chez les 15-29 ans et de 199 900 chez les plus de trente ans.

Tableau B.7 : Progression de l’emploi à temps partiel selon le groupe d’âge, Québec, 1976, 1987 et 1999

Les données sur le travail à temps partiel involontaire peuvent cacher la situation difficile dans laquelle se retrouve les jeunes travailleurs qui ne sont plus aux études. Le tableau suivant présente la répartition des travailleurs à temps partiel involontaire dans trois groupes d’âge différents. On y observe que 37,2 p. cent des travailleurs à temps partiel de 25 à 54 ans auraient préféré un emploi à temps plein, contre 17,9 p. cent pour les jeunes de 15 à 24 ans et 22,7 p. cent des 55-64 ans. Toutefois, on constate que 75,8 p. cent des jeunes de 15 à 24 ans invoquaient les études pour justifier leur occupation d’un emploi à temps partiel. Cela soulève la question du sort réservé aux jeunes n’étant plus aux études, mais occupant tout de même de tels emplois. On sait aussi qu’un grand nombre de jeunes de moins de trente ans, comptabilisé ici dans la catégorie très large des 25-54 ans, entrent dans la catégorie des jeunes de moins de trente ans que nous observons dans cet avis. Le tableau B.7 nous permet de jeter un regard beaucoup plus précis sur la situation des jeunes à cet égard.

Tableau B.8 : Raison de l’emploi à temps partiel selon le groupe d’âge et le sexe, Québec, 2003

Il est fréquent de voir l’essor du travail à temps partiel chez les jeunes de moins de 30 ans expliqué par l’augmentation du nombre d’étudiants dans ces groupes d’âge. On a vu que s’il est indubitable que l’augmentation des étudiants aux études supérieures a un impact sur cet indicateur, celui-ci n’est pas suffisant pour expliquer l’ensemble de la situation. En 1998, pendant la période d’étude, 65,4 p. cent des travailleurs à temps partiel de 15-29 ans étaient involontaires. La ventilation du CPJ permet de constater que les jeunes de 20 à 24 ans sont particulièrement nombreux (72,9 %) à être prisonnier d’une forme d’emploi qu’ils ne désirent pas. Chez les 30 ans et plus, cette proportion est de 38,4 p. cent.

Tableau B.9 : Emploi à temps partiel involontaire, période scolaire, Québec, 1998

Travail autonome

De 1976 à 2003, le travail autonome a augmenté de 109,2 p. cent (ISQ, 2005, p. 130). Cette croissance découlait surtout de l’augmentation du nombre de travailleurs autonomes à compte propre (+ 143,5 %) plutôt que des employeurs (+ 67,9 %). On note toutefois (graphique B.3) que la part du travail autonome dans l’ensemble de l’emploi a eu tendance à diminuer dans tous les groupes d’âge depuis 1998. La proportion des travailleurs autonomes qui exercent à temps partiel a connu une croissance de 5,5 p. cent entre 1976 et 2006 et représentait près d’un cinquième du total des travailleurs autonomes à la fin de cette période [31]. La proportion de travailleurs autonomes, qu’ils soient à compte propre ou employeurs, a tendance à augmenter en suivant les groupes d’âge, les 15-24 ans étant, proportionnellement, les moins nombreux (graphique B.3). Cette proportion faible des jeunes parmi les travailleurs autonomes avait aussi été mise de l’avant par le CPJ (2001), qui relevait que 14 p. cent des travailleurs atypiques de 15-29 ans étaient travailleurs autonomes, contre plus de la moitié des travailleurs atypiques de 30 ans et plus. Cela confirme que les jeunes travailleurs atypiques sont très présents dans les emplois temporaires et les emplois à temps partiel.

Graphique B.3 : Proportion de travailleurs autonomes dans l’ensemble de l’emploi selon le groupe d’âge, Québec, 1998, 2006

En mettant de côté les employeurs, on observe que le taux de croissance du travail autonome sans aide rémunérée chez les jeunes de 15 à 29 ans entre 1980 et 1998 a été de 33 p. cent, contre 63 p. cent pour les 30 ans et plus. Toutefois, si l’on enlève les 15-19 ans de l’équation, le taux de croissance des 20-24 ans (59.1 %) et des 25-29 ans (50 %) est très similaire à celui de leurs aînés.

Tableau : B.10 : Proportion et croissance des travailleurs autonomes (indépendants sans aide salariée), Québec, 1980 et 1998

Emploi temporaire

L’emploi temporaire est parfois perçu comme la voie d’entrée au marché du travail. L’idée reçue veut qu’un travailleur débute sa carrière par ce type d’emploi pour passer dans les années suivantes à une forme d’emploi traditionnelle. Or, le travail temporaire représente une forme d’emploi régulière pour un nombre croissant de travailleurs, et ce dans l’ensemble des pays de l’OCDE. Cela est particulièrement vrai pour les travailleurs vulnérables, notamment ceux qui sont peu scolarisés : « les travailleurs qui n’ont pas poursuivi leurs études jusqu’à la fin du deuxième cycle de l’enseignement secondaire ont un taux d’emploi temporaire supérieur d’environ 60 % à ceux qui ont un meilleur niveau de formation, ce qui inciterait davantage à conclure à l’existence d’un phénomène d’engrenage à long terme dans l’emploi précaire » (OCDE, 2002, p. 149).

Au Québec, de 1998 à 2006, le travail temporaire (26 %) a connu une augmentation plus importante que le travail permanent (17 %). Malgré une croissance plus importante de l’emploi permanent chez les 15-24 ans que chez les autres groupes d’âge, laquelle a mené à une légère régression du taux de présence de l’emploi temporaire sur cette période, ce groupe d’âge continue d’être surreprésenté dans cette forme d’emploi atypique (ISQ, 2007, p. 92).

Tableau B.11 : Taux de présence de l’emploi temporaire selon le groupe d’âge, Québec, 1998 et 2006

On peut raffiner cette analyse par une ventilation plus spécifique de la forme de l’emploi occupé par les travailleurs temporaires, selon le groupe d’âge. On constate alors que les jeunes de moins de 25 ans sont très présents dans le travail saisonnier et le travail occasionnel et relativement moins présents dans le travail temporaire à durée déterminée. Cette tendance s’inverse dans le groupe d’âge suivant, les 25 à 44 ans occupant près de la moitié des emplois temporaires durée déterminée.

Tableau B.12 : Répartition des travailleurs temporaires selon la forme d’emploi spécifique, Québec, 2006

b. Les femmes

Le travail atypique touche davantage les femmes que les hommes : « bien que l’écart se réduise entre les deux sexes, l’emploi atypique reste plus présent chez les femmes que chez les hommes en 2006. Celles-ci sont majoritaires dans l’emploi atypique (51.6 %) en 2006, tandis que les hommes le sont dans l’emploi typique (55,8 %) » (ISQ, 2007, p. 95). Bien que l’écart rétrécisse dans certaines catégories, notamment l’emploi temporaire, d’autres formes d’emploi continuent d’être beaucoup plus souvent occupées par les femmes, notamment l’emploi à temps partiel et le travail à domicile.

Temps partiel

De 1976 à 2003, la proportion de femmes parmi les travailleurs à temps partiel a diminué dans tous les groupes d’âge, sauf chez les 15 à 24 ans. En 2006, les femmes représentaient les deux tiers (66,5 %) des travailleurs à temps partiel32. Un regard au tableau suivant nous permet d’analyser la répartition selon les groupes d’âge, pour 2003. Chez les 25 ans et plus, ce n’est plus les deux tiers mais plutôt les trois quarts des travailleurs à temps partiel qui étaient des femmes. Bien que cela constitue une diminution de près de 10 points depuis 1976, l’écart entre leur présence dans l’emploi à temps partiel par rapport à l’emploi total reste inquiétant. On voit aussi qu ‘alors que le travail à temps partiel chez les hommes a tendance à se résorber à mesure qu’ils avancent en âge, on constate pour les femmes que la part de travail à temps partiel est plus importante entre 35 et 54 ans. Cela laisse supposer qu’il ne s’agit pas là d’une situation transitoire pour un grand nombre d’entre-elles.

Tableau B.13 : Nombre, part et proportion de femmes parmi les travailleurs à temps partiel, Québec, 1976 et 2003

En 2003, 26,6 % des femmes occupaient un emploi à temps partiel involontaire, comparativement à 29,1 % des hommes. Cette statistique ne doit toutefois pas faire perdre de vue qu’en nombre absolu, les femmes sont plus nombreuses à occuper ce type d’emploi que les hommes. On entend généralement par temps partiel non désiré (ou involontaire) une forme d’emploi que l’on occupe pour des raisons économiques (offre insuffisante d’emploi à temps plein ou les emplois à temps plein offerts ne correspondent pas à ceux recherchés) plutôt que par choix. Pour les femmes toutefois, on peut se demander si ces indicateurs suffisent à illustrer l’ampleur du phénomène. Dans leur cas, en effet, certaines raisons, notamment les raisons liées aux obligations familiales, dissimulent souvent du travail à temps partiel involontaire. En effet, on peut se demander dans quelle mesure une femme qui ne peut trouver de services de garde à frais abordable et qui opte donc pour une restriction totale ou partielle de ses heures de travail choisit réellement cette situation.

Tableau B.14 : Raison du travail à temps partiel selon le sexe, 2003

Une étude récente souligne, par exemple, que chez les mères monoparentales, les deux plus grands obstacles à l’accès à l’emploi sont le manque d’accès à des services de garde et des salaires insuffisants (Stephenson et Emery, 2003, p. 77). Constatant cette difficulté, Diane-Gabrielle Tremblay souligne que « du point de vue des femmes et de leur situation spécifique, les politiques sociales ont des incidences majeures et le modèle dominant se traduit par une situation plus ou moins difficile ou (in)sécuritaire pour elles » (Tremblay, 2003b, p. 13)

Travail autonome

Au Québec, en 2006, les hommes travailleurs autonomes étaient presque deux fois plus élevés que les femmes. On constate que les employeurs masculins étaient presque trois fois plus nombreux que les femmes, alors que les travailleurs autonomes sans aide rémunérée sont 1,3 fois plus nombreux chez les hommes. La proportion de femmes a toutefois augmenté de dix points depuis 1976, dont sept points entre 1976 et 1996.

Tableau B.15 : Répartition des travailleurs autonomes selon le sexe, moyennes annuelles, Québec, 1976, 1996, 2006

Travail temporaire

Le taux de croissance de l’emploi temporaire a été plus important chez les hommes (29,1 %) que chez les femmes (23 %) entre 1998 et 2006. Toutefois, la répartition des travailleurs dans ce type d’emploi continue d’être relativement équilibrée entre les deux sexes.

Tableau B.16 : Répartition des travailleurs temporaires selon le sexe, moyennes annuelles, Québec, 1998 et 2006

Travail à domicile ou télétravail

La tendance à réunir le télétravail et le travail à domicile est à la source d’une confusion sur la nature de ce travail. En effet, si le télétravail implique l’utilisation des TIC, le travail à domicile est beaucoup plus large. Il ne se limite donc pas aux professions libérales, aux emplois de bureau ou aux emplois dans le secteur des hautes technologies. Pour les femmes, d’autres formes de travail à domicile occupent une part importante de cette catégorie, soit la couture et la garde des enfants.

Selon Diane-Gabrielle Tremblay, le télétravail ne touche pas de la même façon les hommes et les femmes. Les femmes seraient plus nombreuses à travailler à domicile à temps plein que les hommes. Un sondage effectué dans le cadre de ses travaux lui permettait d’évaluer à 67 % la proportion des femmes travaillant à domicile à temps plein parmi l’ensemble des femmes faisant du télétravail. Le même sondage indique pourtant que dans l’ensemble, les hommes (58,8 %) sont plus nombreux que les femmes (41,2 %) à faire du télétravail (Tremblay, 2003c, p. 7-8).

c. Impact sur la rémunération et le cumul d’emplois

Nous avons souhaité illustré brièvement deux types d’impact du travail atypique soit une rémunération généralement plus faible et un cumul d’emploi plus fréquent.

Rémunération

De 1997 à 2004 la rémunération horaire des employés à temps partiel et des temporaires a toujours été inférieure à celle des temps plein et des permanents. Cela n’est pas très étonnant, quant on sait que les travailleurs atypiques sont très peu protégés contre la discrimination salariale. En clair, à partir du moment où le taux horaire d’un travailleur à temps partiel dépasse le double du salaire minimum, rien n’empêche l’employeur de lui offrir une rémunération inférieure à celle des salariés qui accomplissent la même tâche à temps plein. Quant aux travailleurs temporaires, occasionnels, à domicile ou fournis par une agence de placement, ils n’ont aucune réelle protection [32]. Les salariés des agences de placement temporaire s’en tirent particulièrement mal. En effet, au Canada, leur salaire horaire se situait, en 2003, 40 p. cent sous celui des salariés permanents [33]. Par ailleurs, cette situation ne semble pas près de se résorber, le taux horaire des travailleurs à temps plein ayant connu une hausse de 3,12 dollars, contre 1,15 dollars pour les temps partiels pendant cette période de sept ans.

Tableau B.17 : Rémunération selon le régime d’emploi et le lien d’emploi, Québec, 1997, 2002, 2004

L’observation de données ventilées par âge permet aussi de constater que les 15-24 ans occupant un emploi temporaire ont une rémunération horaire bien inférieure à celle des autres groupes d’âge. En effet, en 2006, ils gagnaient en moyenne 10,54 dollars de l’heure, soit plus ou moins huit dollars de l’heures de moins que la moyenne des trois autres groupes d’âge. Toutefois, on observe que c’est à cet âge que la différence avec les employés permanents du même groupe d’âge est la moins prononcée. Ces jeunes gagnent un salaire équivalent à 93,4 p. cent du salaire moyen des employés permanents du même âge, alors que dans le groupe d’âge suivant ce ratio s’établit plutôt à 92,7 p. cent, puis à 82.3 p. cent entre 45 et 54 ans. On constate donc que l’écart salarial entre les deux formes d’emploi a tendance à s’amplifier avec l’âge, ce qui a des conséquences importantes sur le niveau de vie des travailleurs qui restent bloqués dans ce type d’emploi.

Tableau B.18 : Salaire horaire moyen selon la permanence de l’emploi et l’âge

On peut aussi observer que les femmes ne s’en tirent pas très bien, en particulier lorsqu’elles ne sont pas syndiquées. « En 2004, le salaire horaire moyen des femmes représente toujours la même proportion qu’en 1998, soit 83,4 % du salaire des hommes » (Beeman et al., 2003, p. 22). Les gains moyens annuels des femmes étaient de 65,2 % de ceux des hommes en 2002, et même celui des femmes travaillant à temps plein toute l’année ne représentait que 71,3 % (Beeman et al., 2003, p. 22). Le tableau suivant illustre bien l’écart qui sévit, en particulier chez les travailleurs non syndiqués.

Tableau B.19 : Salaire horaire et hebdomadaire moyen selon la permanence de l’emploi et le sexe, 2003, Québec

Même quand elles travaillent à leur compte, les femmes continuent d’avoir des revenus plus bas que les hommes. L’écart sur une année était de 16 400 dollars en faveur des hommes pour les employeurs et de 10 000 dollars pour les travailleurs autonomes à compte propre. Dans l’ensemble, le revenu des femmes travailleurs autonomes représentait donc 65 p. cent de celui des hommes.

Tableau B.20 : Revenu d’emploi des travailleurs autonomes à temps plein toute l’année selon le sexe, 2000

Cumul d’emplois

Le cumul d’emplois a connu une croissance importante (42,7 %) de 1998 à 2006. Il concerne 148 600 travailleurs à la fin de cette période, soit 3,9 p. cent de l’ensemble des travailleurs. Le cumul d’emplois est partagé à peu prés également entre les deux sexes, mais ce sont les femmes qui ont connu la plus forte croissance sur cette période, soit 46,8 p. cent, contre 38,8 p. cent du côté des hommes. Ce sont surtout les 25-44 ans qui cumulent des emplois (51,1 %). Les 15-24 ans sont 18.3 p. cent à le faire. Ce sont toutefois les 45-54 ans (73,5 %) et les 55 ans et plus (106,2 %) qui ont connu les plus fortes croissances sur cette période [34].

Le graphique B4 nous permet d’abord de constater que 23 p. cent des travailleurs cumulant des emplois travaillent 40 à 49 heures dans leur seul emploi principal, alors qu’un peu plus de 4 p. cent y travaille plus de cinquante heures. Pour ces travailleurs, un second emploi implique forcément un très grand nombre d’heures de travail par semaine. On note aussi que 41 p. cent de ces travailleurs occupent un emploi principal à temps partiel (moins de 30 heures par semaine). La seconde partie du graphique nous apprend qu’un travailleur sur trois cumulant des emplois travaille 50 heures et plus par semaine dans l’ensemble de ses emplois. À l’autre extrême, presque un travailleur sur cinq travaille moins de 30 heures par semaine, malgré le cumul d’au moins deux emplois.

Graphique B.4 : Répartition du nombre de personnes qui cumulent des emplois selon les heures habituellement consacrées à l’emploi principal et à tous les emplois, Québec, 2006

iii. Le travail atypique dans les régions du Québec

Le travail atypique touche les régions de manière fort inégale. Chez les jeunes, généralement des travailleurs très sensibles à la conjoncture, ces disparités se font durement sentir. Ainsi, les jeunes de la région Gaspésie-Îles-de-la-Madeleine étaient presque sept sur dix à occuper un emploi atypique, et ils étaient plus d’un sur deux dans six autres régions (tableau B.16). C’est à Laval que l’on retrouvait la plus faible proportion de travailleurs atypique chez les 15-29 ans, avec moins de quatre travailleurs sur dix. Huit autres régions avaient des proportions réparties dans les quarante pour cent.

Tableau B.21 : Proportion de travailleurs atypiques chez les 15-29 ans, par région, 2001

C. CONSTRUIRE SUR LE SOCLE DU RAPPORT BERNIER

Le projet de loi no 31, adopté en mai 2001, engageait le gouvernement québécois à documenter les besoins de protection sociale des personnes vivant une situation de travail atypique. Un comité d’experts (ci-après appelé le Comité) a été réuni à cet effet le 26 mars 2002. Il était présidé par Monsieur Jean Bernier, professeur au Département des relations industrielles de l’Université Laval et réunissait également Madame Guylaine Vallée, professeure à l’École de relations industrielles de l’Université de Montréal et Me Carol Jobin, professeur au Département des sciences juridiques de l’Université du Québec à Montréal. Le travail de ce comité s’est aussi appuyé sur plusieurs fonctionnaires du ministère du Travail.

Le mandat du Comité l’enjoignait :

  • De dresser un inventaire des personnes vivant une situation de travail non traditionnelle, en identifiant les diverses catégories fondées sur les liens qui les unissent à l’employeur ou au donneur d’ouvrage, ou encore sur les modalités de la prestation de travail ;
  • De dresser, pour chaque catégorie, la liste des besoins de protection sociale réclamée ou utile, tout spécialement après consultation des intéressés et des associations qui les représentent ;
  • Proposer les moyens adaptés à chaque catégorie de travailleurs, ou à plusieurs d’entre elles, pour répondre aux divers besoins.

Les travaux du comité ont abouti à un volumineux rapport de 568 pages (plus 167 pages d’annexes), comprenant 53 recommandations. Dans les premières parties de l’avis, nous avons exposé la définition du travail atypique retenue par le Comité, ainsi que son analyse de certaines des causes de l’essor de ce type de travail. Nous avons aussi décrit leur évaluation des principales conséquences sur la société, les entreprises et les travailleurs de ces nouvelles formes d’emploi. Nous concentrons notre attention, dans la partie suivante, sur les conclusions concernant les aspects législatifs des carences en protection sociale des travailleurs atypiques (i), ainsi que sur les recommandations inscrites dans le Rapport Bernier (ii). Enfin, le gouvernement du Québec a accompli relativement peu de choses depuis 2003 pour améliorer le sort des travailleurs atypiques, adoptant même parfois certaines dispositions législatives allant à l’encontre de leurs intérêts. Nous souhaitons identifier les gestes qui ont été posés et ce qui reste à faire (iii).

i. Les conclusions du Rapport Bernier

Le Rapport Bernier souligne qu’une première difficulté réside dans la relative désuétude des termes donnant accès aux divers régimes de protection sociale liés au travail, notamment ceux de « salariés » et de « travailleurs ». L’inclusion dans les régimes est généralement déterminée par le fait d’être « salarié », c’est-à-dire de fournir « une prestation de travail moyennant rémunération pour le compte d’une autre personne et sous sa direction et son contrôle » (p. 127). Dans le cas où le lien de subordination peut être questionné, par exemple dans le cas des travailleurs autonomes « dépendants » ou dans le cas des travailleurs fournis par une agence de placement, l’accès aux régimes peut se voir remis en question, ou encore les avantages qu’ils sont censés procurer peuvent se trouver restreints.
Le tableau C.1 donne un aperçu des termes donnant l’accès aux régimes, de leur définition et des exclusions qu’ils entraînent. On constate que cinq lois se basent sur le statut de salarié, et trois autres sur le statut de travailleur. La principale différence est justement le lien de subordination, obligatoire pour être reconnu salarié mais pas pour être reconnu travailleur. Dans certains cas, l’accès est aussi subordonné à certaines obligations, notamment dans le cas du régime des rentes, auquel il faut avoir cotisé ; aux régimes complémentaires de retraite, desquels il faut être reconnu participant et de l’assurance-emploi, laquelle exige des cotisations et un nombre minimal d’heures travaillées (910 heures). Certaines lois étendent la définition du salarié pour inclure des formes de travail moins traditionnelles, notamment la Loi sur les normes du travail, la Loi sur l’équité salariale, la Loi sur les accidents de travail et les maladies professionnelles et la Loi sur les régimes complémentaires de retraite. Toutefois, elles ne procèdent pas toutes de la même manière, et n’incluent donc pas toutes les mêmes travailleurs.

Tableau C.1 : Situations d’exclusion des divers régimes de protection sociale, au plan juridique, au Québec (Rapport Bernier)

Le Rapport Bernier ne vise pas tant une harmonisation complète des textes de loi que l’assurance d’une cohérence quant à l’atteinte des objectifs visés par la loi, afin que la lettre de la loi n’exclue pas des travailleurs qui devraient bénéficier d’un régime en vertu de l’esprit de la loi, et cela en raison d’un problème essentiellement terminologique : « la disparité autant que l’uniformité doivent se justifier au nom d’une certaine cohérence de la notion de protection sociale reliée au travail » (p. 129). Il faut notamment éviter que certains travailleurs soit traités différemment d’autres travailleurs exécutant un travail semblable dans la même entreprise.

Le Rapport Bernier rappelle aussi que les employeurs ont, au Québec, une flexibilité beaucoup plus grande qu’en Europe, par exemple, quant à l’utilisation d’une main-d’œuvre atypique (p. 194). L’utilisation de contrats à durée déterminée ou du travail à temps partiel, temporaire, occasionnel ou sur appel ; les changements de statut d’emploi ; le recours aux heures supplémentaires et le recours aux agences de placement temporaire ne sont que peu ou pas limités par la loi. « Il semble clair que le droit du travail québécois préserve la liberté de l’employeur de s’engager dans ces formes de travail. Nous n’avons détecté aucune disposition pouvant suggérer une quelconque volonté d’encadrement du recours à ces formes de travail salarié » (p. 194).

Dans le cas des agences de placement temporaire, le Québec semble particulièrement laxiste, alors que d’autres régions en ont limité ou encadré le recours, comme le font remarquer plusieurs groupes s’intéressant au sujet. Certaines législations visent notamment à s’assurer que les agences de placement ne cherchent pas à se substituer aux employés permanents et qu’elles sont bien indépendantes des entreprises avec lesquelles elles font des affaires [35].

Les formes d’emploi atypiques entraînent pourtant des disparités de traitement chez les travailleurs, en raison de cinq obstacles principaux, décrits au tableau suivant.

Tableau C.2 : Principales causes de disparité de traitement chez les travailleurs en situation de travail non traditionnelle, selon le Rapport Bernier

Le Comité émet donc, dans le Rapport Bernier, des recommandations qui amélioreront les niveaux de protection dont bénéficient les travailleurs atypiques, « tout en conservant la flexibilité dans le recours à une diversité de situation de travail salarié » (p. 198).

ii. Les recommandations du Rapport Bernier

Les recommandations du Rapport Bernier reposent sur trois principes :

  • La qualification de la relation d’emploi doit être d’ordre public et non dépendre de la volonté des parties (p. 406-409) ;
  • Les régimes de protection sociale doivent être accessibles au plus grand nombre (p. 409-411) ;
  • La disparité de traitement fondée sur le statut d’emploi est socialement inacceptable (p. 411-413).
  • Par ailleurs, elles se scindent en quatre catégories :
  • Une plus grande accessibilité aux lois du travail (recommandations 1 à 8) ;
  • La disparité de traitement en fonction du statut d’emploi (recommandations 9 à 30) ;
  • Les agences de placement temporaire (recommandations 31 à 44) ;
  • Les besoins de protection sociale des travailleurs autonomes (recommandations 45 à 53).

Il n’est raisons qui les motivent et les changements qu’elles impliquent. Nous le ferons en respectant l’ordre de priorité proposé par le Rapport Bernier.

a. Élargissement de la notion de salarié

Les recommandations souhaitant l’élargissement de la notion de salarié visent généralement une plus grande accessibilité aux lois du travail et, dans certains cas, l’élimination d’une pas question ici de revoir chacune d’entre elles en détail, mais plutôt de comprendre les disparité de traitement. Le Rapport Bernier propose de modifier la définition de salarié dans le Code du travail, dans la Loi sur les normes du travail, dans la Loi sur l’équité salariale et dans la Loi sur la santé et la sécurité du travail, afin de la rendre moins restrictive. Elle devrait aussi être modifiée dans le même sens dans la Loi sur les décrets de convention collective, « en prévoyant la protection des situations acquises découlant de l’actuel statut d’artisan et du travail en équipe ou en société » (p. 439). Cela devrait permettre de faire une place importante au critère de la dépendance économique, lequel sert à prendre en compte le travail autonome « dépendant ». Serait considérée salariée (p. 431) :

  • Une personne qui, au jugement de la Commission, travaille pour une autre personne moyennant rémunération ;
  • Que cette personne soit salariée ou non en vertu d’un contrat de travail ;
  • Et qui s’oblige à fournir personnellement une prestation de travail pour cette autre personne dans un cadre ou selon des modalités telles qu’elle est placée sous la dépendance économique de cette dernière.

L’ajout des termes « au jugement de la Commission » vise à assurer la compétence et la reconnaissance de l’instance qui juge du statut du travailleur. Cette reconnaissance devrait aussi s’étendre à la Loi sur les décrets de convention collective (p. 439), à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (p. 442), à la Loi sur l’équité salariale (p. 443) ainsi qu’à la Loi sur la santé et la sécurité du travail (p. 445).

Le Rapport Bernier souhaite aussi qu’en cas de litige, ce soit le travailleur qui bénéficie de la présomption de relation salarié-employeur : « dans le cadre d’une loi à finalité protectrice, s’il subsistait un doute, il devrait bénéficier à celui qui tente d’exercer un droit et d’acquérir la protection sociale qui en découle » (p. 432).

La notion de travailleur devrait, toujours selon le Rapport Bernier, être modifiée dans la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, afin d’éliminer l’obligation d’être salarié. On pourrait aussi examiner la possibilité d’appliquer la nouvelle définition de salarié proposée dans la recommandation 1 à la définition du travailleur.

b. Élimination des disparités de traitement en fonction du statut d’emploi

Ce groupe de recommandations vise à corriger les disparités de traitement touchant les travailleurs atypiques salariés (et non autonomes). Plusieurs recommandations ont été rédigées à la fin 2002, au moment ou la Loi sur les normes du travail était modifiée (Projet de loi no 143 [36]). Nous examinerons ces recommandations dans la partie sur les actions du gouvernement (iii).

La recommandation 9, qui amorce cette partie, vise à éliminer les disparités de traitement entre les salariés atypiques et les autres salariés qui effectuent les mêmes tâches à l’intérieur d’une même entreprise et à prévoir des indemnités compensatoires lorsqu’un avantage ne peut être accordé de manière proportionnelle, par exemple en raison du nombre d’heures de travail hebdomadaire ou de la durée du contrat de travail (p. 453).

Le Rapport Bernier met aussi l’accent sur la correction des disparités de traitement résultant de la difficulté, pour le travailleur atypique, de répondre aux exigences d’une durée de service continu.

La discontinuité de la relation d’emploi a un effet sur la possibilité qu’ont ces salariés de cumuler le service continu requis pour accéder à plusieurs des avantages, notamment ceux garantis par la Loi sur les normes du travail : vacances annuelles, jours fériés, chômés et payés, avis de cessation d’emploi, recours à l’encontre d’un congédiement sans cause juste et suffisante, droit limité à la rémunération de certains congés familiaux, protection en cas d’absence pour maladie ou accident. [37]

Le Rapport propose de supprimer cette exigence dans le cas des jours fériés ou pour permettre la rémunération des deux premiers jours suivant la naissance ou l’adoption d’un enfant (nous y reviendrons) et de l’établir à un an comme préalable à l’accès au recours à l’encontre d’un congédiement injustifié (p. 472).

Le Rapport émet cinq recommandations concernant la Loi sur les accidents de travail et les maladies professionnelles et la Commission de la santé et de la sécurité au travail. Le Comité souhaite que (p. 475-487) :

  • L’indemnité de remplacement du revenu compense la perte de gains du travailleur en étant calculée sur la base d’un revenu annualisé ;
  • Que soient étudiés les liens entre travail atypique et santé et sécurité au travail ;
  • Que les problèmes de représentation des salariés atypiques au sein des différents mécanismes mis en place par cette loi soit examinés et corrigés ;
  • Que les travailleurs cumulant des emplois et victime d’une lésion professionnelle se voient indemnisés par la Commission pour la perte de revenu chez les employeurs autres que celui où est survenue la lésion professionnelle, pour les quatorze premiers jours d’incapacité ;
  • Que le calcul de l’indemnité d’un travailleur cumulant des emplois dont aucun n’est permanent à temps plein se base sur le revenu brut qu’il tirerait de son emploi le plus rémunérateur, ou celui qu’il touche du fait du cumul d’emplois, lorsque ce revenu est plus élevé.

Le travailleur cumulant des emplois à temps partiel ou temporaire devrait aussi avoir le droit de refuser des heures de travail supplémentaires lorsqu’un conflit survient avec son autre horaire de travail (p. 483).

c. Protection des salariés des agences de placement temporaire

Concernant les salariés des agences de placement temporaire, le Rapport Bernier souligne cinq types de problèmes, soit :

L’identification de l’employeur véritable et la responsabilité de l’exécution du contrat du côté de l’employeur. La deuxième série de difficultés réfère à la disparité de traitement entre des personnes également qualifiées qui exécutent un travail similaire ou équivalent dans le même établissement. La troisième réunit des conditions nettement abusives que contiennent certains contrats intervenant soit entre l’agence et l’entreprise utilisatrice, soit entre l’agence et le salarié. La quatrième réside dans l’utilisation de la relation de travail triangulaire pour se livrer au marchandage de main-d’œuvre. La cinquième touche l’application du régime de santé et sécurité du travail aux salariés d’agence. [38]

La recommandation 31 est le socle de l’amélioration des conditions de protection sociale des salariés des agences, selon les commissaires du Rapport Bernier. Elle propose que « l’agence de travail temporaire soit reconnue comme étant le véritable employeur dans toutes les lois » (p. 503). Cette recommandation est motivée par le fait que l’agence embauche, conclut le contrat de travail avec le salarié et constitue la relation de travail la plus continue du salarié, ce qui permettrait de calculer une continuité de service donnant accès à plusieurs régimes de protection. C’est aussi auprès de l’agence que les salariés pourront éventuellement être représentés collectivement (p. 502).

Toutefois, des groupes font valoir que les tribunaux rendent généralement des décisions plus nuancées, déclarant tour à tour l’agence de placement temporaire ou l’entreprise-cliente comme employeur, selon le cas. Ils craignent que des changements à cet égard nuisent en fait aux travailleurs. Ils font remarquer que déclarer l’agence de placement temporaire comme employeur éliminerait toute forme d’imputabilité de l’entreprise-cliente, laquelle est pourtant généralement celle qui prend les décisions affectant les conditions de travail du salarié. Ils recommandent donc de donner à la Commission des relations de travail (CRT) le pouvoir de « déclarer, chaque fois que la situation le commande, que soit l’agence, soit l’entreprise-cliente, ou les deux, sont employeurs et responsables, en totalité ou en partie, de toute réparation ordonnée par la CRT… » (Au Bas de l’Échelle, CIAFT et FFQ, 2007, p. 8-9). Il nous semble que les deux visions ont le même objectif, soit d’éviter que l’agence et l’entreprise-cliente ne puissent se soustraire à leurs responsabilités d’employeurs, au détriment des droits des travailleurs. Nous verrons plus loin que notre recommandation va en ce sens.

Les recommandations 32 et 33 visent à assurer que le salarié de l’agence puisse bénéficier de la même rémunération et des mêmes avantages sociaux que les salariés des entreprises où ils travaillent, ou à défaut d’une compensation proportionnelle. Quant à la recommandation 34, elles ferait de l’agence et de l’entreprise utilisatrice les coresponsables de tout montant dû au salarié ainsi que pour l’application des lois concernant la santé au travail ou les accidents de travail.

L’obligation d’établir un contrat écrit entre l’agence et le salarié et l’encadrement plus sévère de tels contrats font l’objet des recommandations 35 à 38. Il s’agit de s’assurer que les conditions entre l’agence et le salarié soient claires et qu’elles ne soient pas abusives, notamment qu’elles ne nuisent pas aux chances du salarié de décrocher un emploi permanent dans une entreprise, que celle-ci fasse affaire avec l’agence ou non (rec. 36). En effet, plusieurs agences stipulent dans leurs ententes avec les salariés que ces derniers n’ont pas le droit d’accéder à un emploi permanent dans l’entreprise où ils travaillent à l’expiration de leur contrat de mission. Elles sont aussi nombreuses à imposer des pénalités aux entreprises offrant de tels emplois aux salariés ayant travaillé pour eux par l’entremise d’une agence de placement. Ces clauses de non- concurrence s’appliquent parfois jusqu’à douze mois après la dernière affection d’un travailleur par une agence de placement. L’Association nationale des entreprises en recrutement et placement de personnel (ACSESS) invoque à ce titre la protection des « intérêts légitimes d’une agence dans le respect de la liberté de contracter » (ACSESS, 2007, p. 17). Selon le Rapport Bernier, c’est plutôt la liberté du salarié sur ce point qui devrait se voir clairement inscrite dans tout contrat entre une agence et un salarié (rec. 37). Enfin, un salarié embauché par une entreprise au terme de son contrat de mission devrait voir la durée de ce contrat de mission prise en compte dans le calcul de la durée du service continu et elle devrait pouvoir servir de période d’essai.

Un autre groupe de recommandations (rec. 39 à 42) concerne les cas où des entreprises utilisent des salariés d’agence « pour combler des postes répondant aux besoins permanents de l’entreprise » (p. 507). Pour les salariés, cela implique de grandes difficultés d’exercice de leurs droits au plan des rapports individuels comme au plan de la représentation collective. Le Rapport Bernier suggère que, pour ce genre de situation, il faudrait pouvoir considérer l’agence et l’entreprise utilisatrice comme constituant un seul employeur afin d’assurer le plein exercice des droits du salarié (rec. 39). Cela devrait aussi permettre l’accréditation d’unités de négociation constituées de salariés d’agence qui comblent des postes répondant aux besoins permanents de l’entreprise, lorsqu’il existe déjà une autre unité de négociation à l’intérieur de l’entreprise (rec 40). La même possibilité devrait exister même lorsqu’il n’existe pas d’unité de négociation semblable dans l’entreprise (rec. 42).

Enfin, le Rapport Bernier demande à ce que le ministère du Travail, avec la collaboration de la Commission de la santé et de la sécurité du travail, porte « une attention particulière à la question des pratiques visant à assurer la réadaptation du salarié d’agence suite à la consolidation de sa lésion et, le cas échéant, voit à ce que soient apportés les correctifs appropriés » (rec. 43, p. 513).

d. Les besoins en protection sociale des travailleurs autonomes

Le Rapport Bernier recommande aussi plusieurs modifications (rec. 45 à 51) pour améliorer la protection sociale des travailleurs autonomes. Le Comité reconnaît que cette tâche se fait dans un contexte particulier en ce qui concerne les travailleurs indépendants, car « la liberté et la flexibilité que leur confère ce statut d’indépendant a beaucoup de prix à leurs yeux » (p. 517). Il faut en tenir compte, ainsi que du fait qu’il s’agit d’un groupe très hétérogène, exerçant une multitude de métiers ou de professions différentes et pour qui « l’indépendance ou l’autonomie n’a pas la même signification » (p. 518).

Une recommandation concerne la mise en place d’un régime-cadre de représentation collective des travailleurs non-salariés (rec. 45). On accéderait à ce régime en étant un « non salarié fournissant une prestation de travail pour autrui moyennant rémunération ou vendant un produit qui est le résultat de son travail personnel moyennant une rétribution, un prix ou un tarif » (p. 534).

Le Rapport propose ensuite des modifications à la Loi sur la santé et la sécurité du travail afin de s’assurer que les travailleurs autonomes aient les mêmes obligations et les mêmes droits que les autres travailleurs en ce qui concerne leur santé, leur sécurité, le droit de refus, et la maternité (rec. 47 à 51).

Enfin, il est aussi proposé de faciliter un dialogue entre les associations de travailleurs autonomes et les associations financières privées et coopératives pour mettre en place des programmes de protection sociale (rec. 52), ainsi que de mettre au point un contrat-type pour déteminer les conditions de base relatives à la fourniture d’équipement par le salarié-propriétaire de machinerie (rec. 53).

iii. Les actions gouvernementales portant sur le travail atypique ou le sous-emploi depuis le dépôt du Rapport Bernier

Les membres du Comité d’experts reconnaissent d’emblée, dans le Rapport Bernier, que les modifications proposées exigent un « effort législatif important » (p.563) et que l’application de certaines des recommandations pourrait entraîner « une augmentation des coûts de main- d’œuvre pour beaucoup d’employeurs, y compris l’État » (p. 563). Ils soulignent toutefois que « certains États, qui s’y sont mis bien avant nous, ont pu, sur une période d’environ dix ans, adopter et mettre en œuvre des mesures visant à éliminer les disparités de traitement en fonction du statut d’emploi, à favoriser l’accès à des emplois de qualité pour ceux et celles qui le désirent et à commencer de mettre un frein au développement de la précarité d’emploi » (p. 563).

Au Québec toutefois, malgré l’urgence d’agir pour éliminer ces nombreuses iniquités frappant les travailleurs atypiques, force est d’admettre que les suites au Rapport Bernier se font attendre. En fait, le gouvernement du Québec a même, depuis le dépôt du Rapport, posé certains gestes qui vont à l’encontre des intérêts de certains de ces travailleurs, notamment dans le cas des responsables de garde en milieu familial et des ressources intermédiaires en santé. Nous portons ici notre attention sur le projet de loi no 143 modifiant la Loi sur les normes du travail et d’autres dispositions législatives [39]. Celui-ci n’est pas une conséquence directe du dépôt du Rapport Bernier, puisqu’il a été adopté à peu près au moment de ce dépôt. Nous présenterons aussi les projets de loi no 7 (modifiant la Loi sur les services de santé et les services sociaux) et no 8 (modifiant la Loi sur les centres de la petite enfance et autres services de garde à l’enfance), ainsi que les travaux d’un comité ministériel du ministère du Travail sur les agences de placement.

a. Projet de loi no 143

Le projet de loi no 143 touche sept aspects du travail, dont cinq surtout ont un impact direct ou indirect sur la situation des travailleurs atypiques :

  • Le renforcement du caractère universel de la Loi ;

Le projet de loi accorde le même statut à tous les travailleurs agricoles, évitant ainsi que certains soient exclus des dispositions sur les salaires, sur la durée de la semaine normale de travail et sur la période de repos hebdomadaire de 24 heures.

Les gardiens et les gardiennes de personne seront dorénavant assujettis à la LNT, sauf dans le cas de certaines exceptions et leur salaire minimum est fixé par règlement. Les domestiques résidant chez leur employeur ont dorénavant droit au salaire minimum et à la semaine normale de travail de 40 heures, tout comme ceux ne résidant pas chez leur employeur.

Il n’y a toutefois pas de disposition précise sur une redéfinition du terme « salarié » qui permettrait de rendre la Loi plus inclusive pour les travailleurs atypiques. Une telle redéfinition relève pourtant d’un besoin tout à fait fondamental de clarification et d’équité et fait l’objet de la première recommandation du Rapport Bernier.

  • La conciliation du travail avec les responsabilités familiales et la vie personnelle ;

Le salarié peut désormais s’absenter du travail, sans salaire, dix jours (plutôt que cinq), pour remplir des obligations reliées à la garde, à la santé ou à l’éducation d’un proche. Ce congé peut être fractionné en journée et les journées elles-mêmes peuvent être fractionnées, avec le consentement de l’employeur. De plus, le salarié qui justifie de trois mois de service continu peut s’absenter du travail, sans salaire, pendant un maximum de douze semaines sur une période de douze mois pour prendre soin d’un proche, sans crainte de perdre son emploi. Dans le cas extrême où un enfant mineur est atteint d’une maladie potentiellement mortelle, le salarié a droit à un maximum de 104 semaines de prolongation de cette absence.

Il est désormais inscrit explicitement dans la LNT qu’un salarié justifiant de trois mois de service continu peut s’absenter du travail pour cause de maladie ou d’accident, sans salaire, pour un maximum de 26 semaines sur une période de douze mois, sans crainte de perdre son emploi ou ses avantages habituels. Cela rejoint la recommandation no 16 du Rapport Bernier.

La durée minimale de repos hebdomadaire est désormais de 32 heures consécutives, plutôt que 24. Le salarié peut refuser de travailler plus de quatre heures au-delà des heures habituelles quotidiennes ou plus de quatorze heures par période de 24 heures, ou plus de douze heures par période de 24 heures lorsque les heures quotidiennes de travail sont variables ou non continues. Cela rejoint la recommandation no 14 du Rapport Bernier.

  • La protection des salariés dans l’exercice des recours ;

La période de service continu requise comme condition d’un recours à l’encontre d’un congédiement injustifié passe de trois à deux ans. Les protections à l’encontre d’une pratique interdite (congédiement abusif, suspension, déplacement du salarié, discrimination, etc.) sont renforcées, ce qui rejoint en partie la recommandation no 15 du Rapport Bernier. De plus, le statut de salarié est maintenu lorsque l’employeur apporte des changements au mode d’exploitation de son entreprise, sauf si ces changements modifient de facto son statut. Dans ce dernier cas, le salarié peut contester auprès de la Commission des normes du travail. Le Rapport Bernier signale toutefois que « contrairement au recours existant dans le Code du travail, l’employeur peut introduire immédiatement les changements au mode d’exploitation de son entreprise sans attendre l’issue d’un recours spécifique permettant au salarié de demander à un tiers de se prononcer sur les conséquences des changements apportés par l’employeur sur son statut » (Bernier, Vallée et Jobin, 2003a, p. 465). Conséquemment, les Commissaires recommandent (rec. 17) de :

Reconnaître le droit du salarié d’être informé par écrit des changements que son employeur entend apporter au mode d’exploitation de son entreprise qui auraient pour effet de modifier son statut de salarié, celui de demander, dans un délai déterminé, à la Commission des normes du travail, et éventuellement à la Commission des relations de travail, de se prononcer sur l’effet de ces changements sur son statut et la suspension de l’application des changements annoncés par l’employeur jusqu’à la date de cette décision, le cas échéant. [40]

  • Les jours fériés, chômés et payés ;

Tel que le recommandait le Rapport Bernier (rec. 10), « la notion de « jour ouvrable » ainsi que l’exigence de service continu pour déterminer l’admissibilité du salarié à une indemnité ou à un congé compensatoire sont supprimés » (Ministère du Travail, 2003, p. 14). Pour chaque jour férié et chômé, l’employeur est tenu de verser une indemnité égale à 1/20 du salaire gagné au cours des quatre semaines complètes de paie précédant la semaine du congé. Le Rapport Bernier souligne que cette modalité « est susceptible de conduire à un résultat qui défavorise un salarié qui aurait normalement travaillé, n’eût été du congé, si son horaire ne correspond pas à celui du salarié typique travaillant cinq jours par semaine » (Bernier, Vallée et Jobin, 2003a, p. 25). La même remarque vaut pour le calcul de l’indemnité de congé férié, laquelle repose sur la règle du 1/20. Cela défavorise le travailleur atypique qui aurait normalement travaillé, n’eût été de son congé. Pour remédier à cela, le Rapport recommande que l’indemnité soit équivalente au salaire journalier qu’il aurait reçu, dans les cas où il aurait normalement travaillé (rec. 21).

Le Rapport Bernier recommandait aussi la suppression de l’article 7 de la Loi sur la fête nationale (rec. 11), ce qui a été fait. Cela évite d’exclure les travailleurs qui n’ont pas droit à un salaire ou une indemnité pendant au moins dix jours entre le 1er juin et le 23 juin, comme c’était le cas auparavant.

Enfin, les conditions de service continu sont aussi supprimées pour l’accès aux jours fériés ou pour l’accès à la rémunération des deux premières journées d’absence à l’occasion de la naissance ou de l’adoption d’un enfant (rec. 19).

  • La garantie du paiement du salaire minimum ;

La Loi précise maintenant que, peu importe la base de rémunération (au rendement, à commission, sur facturation, etc.), le salarié doit recevoir un salaire au moins équivalent au salaire minimum. Par ailleurs, le pourboire versé directement ou indirectement par un client appartient maintenant en propre au salarié et ne peut être confondu avec le salaire. L’employeur ne peut plus imposer le partage des pourboires entre salariés.

b. Projet de loi no 7 modifiant la Loi sur les services de santé et les services sociaux

Ce projet de loi a été présenté le 17 juin 2003 et adopté le 17 décembre de la même année. Il a comme principal objet de modifier le statut des ressources intermédiaires en en faisant des travailleurs autonomes ou des entrepreneurs indépendants, plutôt que des salariés :

Une ressource intermédiaire est réputée ne pas être à l’emploi ni être une salariée de l’établissement public qui recourt à ses services et toute entente ou convention conclue entre eux pour déterminer les règles et modalités de leurs rapports quant au fonctionnement des activités et services attendus de la ressource intermédiaire est réputée ne pas constituer un contrat de travail. [41]

Cette vision va à l’encontre des décisions des tribunaux sur cette question. En effet, plusieurs décisions concernant les ressources intermédiaires [42] statuaient que le contrôle exercé par les établissements publics sur les ressources intermédiaires, le fait que ces établissements rémunèrent ces travailleurs et la nature de leur contrat « permettent de conclure qu’elles sont des salariées » (Montminy, 2003, p. 6).

Le projet de loi prévoit aussi que le gouvernement peut décréter les « conditions générales d’exercice des activités de ces ressources » (art. 3). Les intervenants du milieu ont été nombreux à décrier les changements induits par ce projet de loi. L’un des principaux problèmes a trait à la liberté d’association syndicale. Selon la FTQ, le paragraphe 7 du projet de loi « va carrément à l’encontre de la Charte canadienne des droits et libertés, de la convention internationale C-87 de l’OIT sur la liberté syndicale et la protection de droit syndical ratifiée par le Canada et de l’Accord nord-américain de coopération dans le domaine du travail (FTQ, 2003, p. 13).

La Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ) fait remarquer que le projet de loi rend de facto caduques les ententes intervenues entre les associations ou organismes représentant ces ressources et leurs employeurs avant l’entrée en vigueur du projet de loi (Montminy, 2003, p. 7). La CSN souligne, quant à elle, que « l’utilisation du mot « réputé » impose désormais qu’il sera même impossible de tenter de démontrer l’existence, dans les faits, d’une relation employeur-employé entre l’établissement et les ressources intermédiaires, et ce, devant tous les tribunaux du Québec. Pire, en vertu du même article, celles qui sont actuellement syndiquées verront leur convention collective annulée » (CSN, 2003, p. 2).

On voit bien que ce projet de loi va totalement à l’encontre du Rapport Bernier. D’une part, on s’éloigne de la redéfinition du « salarié » dans le Code du travail (rec. 1), telle que nous l’avons énoncée plus haut. De plus, non seulement le projet de loi ne présume pas d’une relation salarié/employeur (comme le voulait la recommandation 3 du Rapport) mais il fait exactement le contraire ! Cette mesure risque donc de faciliter la transformation de salariés en faux travailleurs autonomes. Ces travailleurs se retrouvent sans « protection sociale publique ou privée, tels l’assurance-emploi, la CSST, les congés de maternité ou l’assurance-salaire. Elles n’ont accès a aucun régime de retraite et leur salaire est souvent un salaire de crève-faim » (CSN, 2003, p. 4). Cela, alors même que leur situation particulière de travailleur atypique exigerait au contraire une protection particulière, comme le fait remarquer la CDPDJ :

Le milieu dans lequel ils évoluent est distinct : ils travaillent pour la majorité à leur domicile et utilisent leurs propres ressources. Ils sont donc isolés les uns des autres. En outre, leur niveau d’implication matérielle et physique est beaucoup plus important. Dans les faits, ils travailleraient de nombreuses heures (un minimum de 10 heures par jour) et ne recevraient en contrepartie qu’une somme équivalente à un taux horaire inférieur au salaire minimum du Québec. Le fait qu’il s’agisse principalement de femmes, mères de famille, vient également ajouter à la particularité de ce groupe. [43]

c. Projet de loi no 8 (modifiant la Loi sur les centres de la petite enfance et autresservices de garde à l’enfance)

Ce projet de loi fait d’une personne responsable d’un service de garde en milieu familial une « prestataire de service au sens du Code civil » et précise qu’elle n’est pas une salariée (art. 1). Cela place les quelques 10 000 responsables de services de garde en milieu familial « devant l’obligation d’assumer seules les risques liés au travail, comme les périodes de chômage, les accidents de travail et les maladies professionnelles. On leur enlève également le droit au salaire minimum, à des vacances payées, à des congés fériés, à des congés de maternité, à des congés pour responsabilités familiales, à une majoration pour le temps supplémentaire, à des recours à la Commission des normes du travail, etc. On leur retire le droit fondamental de se syndiquer… » (Au bas de l’échelle, 2003, p. 5).

Comme dans le cas du projet de loi no 7, le projet de loi no 8 fait qu’« une des parties en présence utilise sont pouvoir législatif pour qualifier la relation d’emploi, et qu’elle se place en conflit d’intérêt » (Au bas de l’échelle, 2003, p. 6). Cela va complètement à l’encontre du premier principe directeur du Rapport Bernier, qui recommandait, comme nous le précisions plus haut, que seule l’autorité publique compétente puisse qualifier juridiquement la relation existant entre un employeur ou un donneur d’ouvrage et un ou des travailleurs, sans reposer sur la volonté des parties (Bernier, Vallée et Jobin, 2003a, p. 408). Cela explique que le projet de loi renverse les décisions des tribunaux qui reconnaissaient un statut de salarié aux responsables de services de garde en milieu familial.

Ces deux projets de loi (no 7 et no 8) semblent, d’ailleurs, aller à l’encontre du projet de loi no 143, lequel reconnaissait le droit au maintien du statut de salarié et élargissait la portée de la loi en incluant les gardiens et gardiennes de personnes.

d. Comité ministériel sur les agences de placement temporaire

Un groupe de travail sur les pratiques contractuelles des agences de placement a réuni des intervenants de ce secteur entre février 2006 et février 2007. Le Conseil du patronat du Québec (CPQ), la section québécoise de l’Association nationale des entreprises en recrutement et placement de personnel (ACSESS), Au Bas de l’Échelle, la Fédération des femmes du Québec (FFQ) – représentée ici par le Conseil d’intervention pour l’accès des femmes au travail (CIAFT) – et le Secrétariat à la Condition Féminine étaient présents. À l’origine, la Marche des femmes revendiquaient contre toute forme de disparité de traitement liée au statut d’emploi. Le ministre du travail de l’époque, Monsieur Laurent Lessard, a mis sur pied ce groupe de travail pour étudier ce qu’il affirmait considérer comme sa priorité, soit le rôle des agences de placement temporaire.

À la suite de ce groupe de travail, les groupes impliqués ont remis des rapports séparés au ministre. Au Bas de l’Échelle, la FFQ et le CIAFT ont remis un rapport conjoint et ACSESS a aussi remis un rapport. Il va sans dire que les conclusions des deux rapports sont radicalement différentes. Dans son rapport, l ACSESS affirme que l’on doit considérer l’agence de placement comme l’employeur en tout temps. Il défend l’utilisation de « clause de non-concurrence » empêchant les entreprises-clientes d’embaucher de façon permanente un travailleur issu d’une agence par un besoin de protection des intérêts de l’agence, lié à la nature du service qu’elle offre. Elle ne voit pas de problème quant à la protection des travailleurs et dans leurs possibilités de recours.

Le rapport conjoint des trois autres organismes dresse, on s’en doute, un portrait moins flatteur de cette industrie. Il soulève notamment certains problèmes posés par la relation tripartite travailleur-agence-entreprise et s’objecte, pour les raisons citées précédemment, à ce que l’on conçoive l’agence comme l’employeur en tout temps. Il rejette la légitimité des clauses de non-concurrence, affirmant qu’elles anéantissent la liberté de contracter du travailleur. Il s’en prend aussi aux clauses de disponibilité ou d’exclusivité [44], Le rapport dénonce d’autres problèmes liés aux contrats passés entre les agences et les entreprises-clientes, de même que les disparités de traitement (salaires et avantages sociaux) que nous avons évoquées plus haut.

Il n’y a pas véritablement eu de suite à ce groupe de travail jusqu’à maintenant. Nous savons que des rencontres sont prévues entre certains groupes et le ministre du Travail, mais il est difficile d’évaluer, à ce stade-ci, si des modifications pourraient être apportées à court ou moyen terme aux législations concernés par ce type de pratique.

CONCLUSION ET RECOMMANDATIONS

Le Rapport Bernier faisait deux constats généraux d’une importance cruciale et qui devraient amener le gouvernement du Québec à s’impliquer en faveur des travailleurs. En premier lieu, le Rapport Bernier constate une absence totale de volonté de restreindre et d’encadrer le recours au travail atypique au Québec. La loi ne présente aucune préférence envers quelques formes d’emploi que ce soit. L’utilisation de contrats à durée déterminée ou du travail à temps partiel, temporaire, occasionnel ou sur appel ; les changements de statut d’emploi ; le recours aux heures supplémentaires et le recours aux agences de placement temporaire ne sont que peu ou pas limités par la loi. Pourtant, on constate, à la suite du Rapport Bernier et d’autres travaux menés sur le sujet que la multiplication des formes d’emploi atypiques a des conséquences sur la qualité de vie des travailleurs, et plus largement sur tous les travailleurs et l’ensemble de la société, notamment en faisant subir une pression de plus en plus grande aux programmes sociaux. Emploi-Québec a lui-même subit les contrecoups de cet essor, devant accompagner un grand nombre de travailleurs bloqués dans un cycle travail précaire-chômage-travail précaire. Il semblerait logique que le gouvernement du Québec intervienne, en se basant sur le Rapport Bernier, pour limiter le recours au travail atypique non désiré et pour encadrer cette pratique,l. Cela inclut autant les éléments qui touche aux travailleurs et ceux touchant à l’industrie des agences de placements.

Recommandation 1 Que le gouvernement du Québec encadre davantage le recours aux travailleurs atypiques, notamment le recours aux employés temporaires et aux travailleurs fournis par une agence de placement de personnel.

Par ailleurs, on a pu voir dans cet avis que le recours au travail atypique n’est pas la seule voie possible pour réagir aux pressions de la mondialisation et de la concurrence sévère dans les secteurs secondaires et tertiaires. Diverses stratégies existent, entre lesquelles les entreprises doivent choisir. Nous croyons que la CPMT peut occuper une position stratégique pour accompagner les entreprises dans certains de ces choix de stratégies et ayant des impacts limités sur les travailleurs. Ces choix peuvent également avoir des impacts positifs sur notre économie, en rehaussant les compétences de la main-d’œuvre et la qualité des produits et services offerts par les entreprises québécoises. La CPMT s’oriente activement pour favoriser la formation et la reconnaissance des acquis. Elle doit continuer en ce sens.

Recommandation 2 Que la CPMT fasse la promotion de choix de gestion axés sur l’innovation, la formation de la main-d’œuvre et l’ajout d’une plus-value aux produits et services et qu’elle offre des services en ce sens dans le cadre de ses mesures destinées aux entreprises.

En second lieu, des problèmes purement terminologiques ont des conséquences funestes sur un nombre important de travailleurs atypiques, en limitant leur accès aux régimes de protection sociale liés au travail et en permettant des disparités de traitement entre ces travailleurs et des travailleurs permanents accomplissant des tâches similaires à l’intérieur d’une même entreprise. Nous croyons que des ajustements sur ce plan sont inévitables dans les années à venir, les transformations du marché du travail s’inscrivant dans la durée. Comme l’ont montré les travaux à ce sujet, les modifications impliquées exigeront un travail législatif important et il serait bon de s’y mettre sans tarder.

Recommandation 3 Que le gouvernement du Québec modifie, dans le sens proposé par le Rapport Bernier, les définitions des termes « salariés » et « travailleurs » dans l’ensemble de la législation sur le travail.

En ce moment, pour Emploi-Québec, le travail atypique se retrouve inclus dans un concept plus large, le sous-emploi, basé sur le fait d’occuper de manière involontaire et chronique un emploi insatisfaisant ou précaire. Sont amalgamés, par exemple, les travailleurs surqualifiés pour les emplois qu’ils occupent, les travailleurs à temps partiel ou les travailleurs temporaires qui n’ont pas choisi cette situation. Par ailleurs, le sous-emploi est généralement associé au risque de chômage prolongé dans les documents d’Emploi-Québec, notamment dans ses récents plans d’action annuels. Il semble important de distinguer le travail atypique involontaire de toute autre forme d’emploi et de considérer l’occupation involontaire d’un emploi atypique et précaire comme un problème en soi. Avec cette quête d’informations plus précise sur la situation en emploi atypique, Emploi-Québec serait plus à même de comprendre la situation des personnes atteintes négativement par le travail atypique involontaire et l’aide qu’apportent ses différents programmes. Il serait aussi plus facile d’évaluer les prochaines actions à mettre en place pour cette clientèle.

Recommandation 4 Qu’Emploi-Québec sépare le travail atypique des autres formes de sous-emploi dans ses orientations stratégiques et dans ses informations de gestion. L’utilisation d’un tel concept devrait permettre à Emploi-Québec de produire des informations plus précises sur l’état des travailleurs en situation de travail atypique, leur utilisation des mesures d’Emploi-Québec et d’évaluer le succès de ces mesures.

Pour améliorer la situation des jeunes et des femmes quant au travail atypique, il importe qu’Emploi-Québec connaisse parfaitement leur situation. Afin d’y arriver, il serait intéressant qu’Emploi-Québec envisage de mener une étude à grande échelle dans plusieurs régions du Québec pour comprendre ce qui pousse les jeunes et les femmes à occuper des emplois atypiques, ce qu’ils vivent dans ces situations d’emploi, combien de temps ils y demeurent et ce qui fait qu’ils y restent ou qu’ils en sortent. Une telle étude pourrait mener à l’élaboration de mesures visant directement les travailleurs (jeunes et femmes) en emploi atypique. Avec l’application des recommandations 1 à 3, ces nouvelles mesures aideraient à rendre plus attrayant le marché du travail pour ces groupes, un objectif avoué du gouvernement du Québec.

Recommandation 5 Qu’Emploi-Québec mène une étude qualitative auprès des jeunes de moins de 30 ans et des femmes en situation de travail atypique. Cette étude devrait porter une attention particulière aux causes et aux conséquences de cette situation d’emploi, sa durée et les éléments qui empêchent ou favorisent l’entrée dans des formes d’emplois plus traditionnelles. Dans le cas des jeunes, l’accent devrait être mis sur ceux qui ne sont plus aux études.

Le Rapport Bernier proposait plusieurs recommandations pour éliminer les disparités de traitement entre les travailleurs atypiques et les travailleurs traditionnels accomplissant des tâches similaires dans une même entreprise. Si certaines des dispositions législatives dénoncées dans le Rapport Bernier ont été corrigées par l’adoption du projet de loi no 143, plusieurs demeurent. Notamment, les travailleurs atypiques continuent de perdre certains avantages en raison du nombre d’heures de travail ou de la durée de leur contrat de travail, sans obtenir de compensation en retour. La durée de service continu représente toujours un problème à bien des égards, en particulier pour les employés temporaires.

Recommandation 6 Que le gouvernement du Québec légifère dans le sens du Rapport Bernier pour éviter l’existence des disparités de traitement entrepris avec le projet de loi no 143.

Le sort des salariés des agences de placement temporaire semble particulièrement préoccupant. Leur situation est précarisée par la faiblesse des limitations et de l’encadrement du recours aux services de ces agences et des pratiques contractuelles de ces dernières.

Recommandation 7 Que le ministère du Travail donne rapidement suite à son Groupe de travail portant sur l’industrie du placement temporaire.

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[1Statistique Canada ; compilation Emploi-Québec DGAPPIMT (Direction générale adjointe de la planification, de la performance et de l’information sur le marché du travail) Septembre 2007.

[2Le plus souvent, nous entendrons par « jeunes » les personnes âgées de 15 à 29 ans. Toutefois, il n’est pas toujours possible de ventiler toutes les données selon ce groupe d’âge. La constitution de ce groupe pourra donc parfois varier dans les pages suivantes. Des précisions seront apportées au cas par cas.

[3MATTE, Denis, BALDINO, Domenico et Réjean COURCHESNE. 1998. L’évolution de l’emploi atypique au Québec. Québec : ministère du Travail, 88 p.

[4Les précisions entre parenthèses sont de VOSKO, F. et al. 2003. « Le travail précaire : une nouvelle typologie de l’emploi » Perspectives, Statistique Canada, Octobre 2003, volume 4, numéro 10, p. 3.

[5BLONDIN, Sébastien, LEMIEUX, George, avec la participation de Lorraine FOURNIER. 2001. Emploi atypique et précarité chez les jeunes. Une main d’œuvre à bas prix, compétente et jetable ! Québec : Conseil permanent de la jeunesse, 114 p.

[6La définition est de Alice DE WOLFF, citée dans : STEPHENSON, Marylee et Ruth EMERY. 2003. Vivre dans l’insécurité complète : répercussions des tendances du travail atypique sur les mères chefs de famille monoparentale. Ottawa : Condition féminine Canada, 119 p.

[7BERNIER, Jean, VALLÉE, Guylaine et Carol JOBIN. 2003. Les besoins de protection sociale des personnes en situation de travail non traditionnelle. Québec : Ministère du Travail. 568 p.

[8BLONDIN, Sébastien, LEMIEUX, George, avec la participation de Lorraine FOURNIER. 2001. Op. Cit. p. 18.

[9Vosko et al., 2003, Op. Cit. p. 20.

[10SAUNDERS, Ron. 2006. Risques et possibilités : À la recherche d’options pour les travailleurs vulnérables. Ottawa : Réseaux canadiens de recherche en politiques publiques, p. 5.

[11CHAYKOWSKI, Richard P. 2005. Travail atypique et vulnérabilité économique. Ottawa : Réseaux canadiens de recherche en politiques publiques, p. 5-6.

[12SAUNDERS, Ron. 2006. Op. Cit. p. 6.

[13Auparavant, Statistique Canada considérait l’ensemble des emplois de l’individu. Avant 1975, on parlait de temps partiel tant que l’on atteignait pas 35 heures par semaine.

[14Lire à ce sujet MATTE, Denis, BALDINO, Domenico et Réjean COURCHESNE. 1998. Op. Cit. p. 27-28.

[15CHAYKOWSKI. Richard P. 2005. Op. Cit. p. 16.

[16MATTE, Denis, BALDINO, Domenico et Réjean COURCHESNE. 1998. Op. Cit. p. 31.

[17BLONDIN, Sébastien, LEMIEUX, George, avec la participation de Lorraine FOURNIER. 2001. Op. Cit. p. 13-14 et p. 59 à 69. Il s’agit en fait des deux types de flexibilité définis par l’OCDE.

[1818 BERNIER, Jean, VALLÉE, Guylaine et Carol JOBIN. 2003. Op. Cit. p. 27-30.

[19DESROCHERS, Lucie. 2000a. Travailler autrement : pour le meilleur ou pour le pire ? – Les femmes et le travail atypique. Québec : Conseil du statut de la femme, 213 p.

[20ORGANISATION DE COOPÉRATION ET DE DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUES (OCDE). 2003. Vers des emplois plus nombreux et meilleurs. Perspectives de l’emploi de l’OCDE, édition 2003. Paris : OCDE, p. 42-43.

[21ORGANISATION DE COOPÉRATION ET DE DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUES (OCDE). 2006. Stimuler l’emploi et les revenus. Perspectives de l’emploi de l’OCDE, édition 2006. Paris : OCDE, p. 39-40.

[22CHAYKOWSKI, Richard P. 2005, p. vi.

[23Pourcentage de salariés n’étant pas tout à fait d’accord avec « mon emploi est assuré ».

[24BLONDIN, Sébastien, LEMIEUX, George, avec la participation de Lorraine FOURNIER. 2001. Op. Cit. p. 35 à 44.

[25DESROCHERS, Lucie. 2000a. Op. Cit. p. 17-18. On peut aussi se rapporter aux travaux de Diane-Gabrielle Tremblay (2003b, p. 12-13) en ce qui concerne les effets des politiques sociales sur la sécurité, selon les modèles d’État (libéraux, providence-conservateurs, socio-démocrates).

[26La plupart des informations suivante sont tirées de l’annexe 8 de l’Approche d’intervention d’Emploi-Québec, pp. 1- 2.

[27On note une différence assez importante entre cette donnée pour 2006 et celle offerte pour 2003 dans le tableau B.2. Cela s’explique par le fait que la croissance du travail temporaire a connu une chute fort importante en 2003 et est par la suite remontée fortement. Le niveau de croissance du travail permanent étant beaucoup plus stable, cela a pour conséquence de faire varier la part de l’emploi temporaire dans l’emploi total d’année en année.

[28MARTIN, Marie-France. 2007. « L’emploi temporaire au Québec : portrait et évolution de 1997 à 2006 » dans Flash- Info, Travail et rémunération, volume 8, numéro 2, juin 2007. Québec : ISQ, p. 5.

[29GAGNON, Sandra. 2004. « Les changements au chapitre de l’emploi au Québec ». Dans Flash-info Travail et rémunération. Volume 5, numéro 4, septembre 2004. Québec : ISQ, pp. 1-7.

[30QUÉBEC, INSTITUT DE LA STATISTIQUE DU QUÉBEC. 2007. Annuaire québécois des statistiques du travail. Volume 3, numéro 1. Portrait des principaux indicateurs du marché du travail 1998-2006. Québec : ISQ, p. 116.

[31Institut de la statistique du Québec,
http://www.stat.gouv.qc.ca/donstat/societe/march_travl_remnr/remnr_condt_travl/tab4.htm
consulté en juillet 2007.

[32Lire à ce sujet PAQUET, Esther. 2007. Pour des normes du travail à la hauteur ! Montréal : Au bas de l’échelle, p. 9.

[33GALARNEAU, Diane. 2005. L’écart salarial entre employés temporaires et permanents. Ottawa : Statistique Canada, p. 8.

[34QUÉBEC, INSTITUT DE LA STATISTIQUE DU QUÉBEC. 2007. Op. Cit. p. 126.

[35On peut lire à ce sujet : AU BAS DE L’ÉCHELLE, CONSEIL D’INTERVENTION POUR L’ACCÈS DES FEMMES AU TRAVAIL ET FÉDÉRATION DES FEMMES DU QUÉBEC. 2007. Rapport sur les pratiques contractuelles de l’industrie du placement
temporaire. Remis à Monsieur David Whissel, ministre du Travail. Québec : auteurs, p. 5.

[36Ce projet de loi, devenu le chapitre 80 des Lois du Québec de 2002, a été présenté le 7 novembre 2002, adopté le 19 décembre 2002 et ses dispositions sont entrées en vigueur le 1er mai 2003 et le 1er juin 2004.

[37BERNIER, Jean, VALLÉE, Guylain et Carol JOBIN. 2003. Op. Cit. p. 470.

[38BERNIER, Jean, VALLÉE, Guylaine et Carol JOBIN. 2003. Op. Cit. p. 491.

[39Ce projet de loi a aussi des effets sur le Code du travail, la Loi sur la fête nationale, la Loi sur la formation et la qualification professionnelles de la main-d’œuvre, la Loi sur les impôts et la Loi sur le ministère de l’Emploi et de la Solidarité sociale et instituant la Commission des partenaires du marché du travail.

[40BERNIER, Jean, VALLÉE, Guylaine et Carol JOBIN. 2003a. Op. Cit. p. 466.

[41Article 1. du projet de loi no 7.

[42On les retrouve notamment dans MONTMINY, Karina (Me), avec la collaboration de Lucie France DAGENAIS (Ph. D.). 2003. Commentaires sur les projets de loi no 7 et no 8. Statut des ressources intermédiaires ou de type familial et des personnes responsables de service de garde en milieu familial. Québec : CDPDJ, 13 p.

[43MONTMINY, Karina (Me), avec la collaboration de Lucie France DAGENAIS (Ph. D.). 2003. Op. Cit. p. 8.

[44Les clauses de disponibilité exigent un nombre de jours de disponibilité obligatoire, certaines exigeant d’eux qu’ils soient disponibles tous les jours. Les clauses d’exclusivité empêchent les travailleurs de travailler pour une entreprise offrant un service similaire à celui de l’agence.

Extrait

Jean Bernier, professeur émérite Département des relations industrielles Université Laval

Il y aura bientôt cinq ans qu’a été rendu public le rapport du comité d’experts sur « les besoins de protection sociale des personnes en situation de travail non traditionnelle ». Il convient de saluer l’initiative du Comité aviseur-jeunes d’Emploi-Québec de se pencher à nouveau sur la question non seulement pour en faire le rappel mais pour procéder à une mise à jour des données de base et à une actualisation des constats.

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